High Rise

Je ne mets jamais les pieds au sous-sol. Ja-mais. Déjà, je n'ai pas de voiture à garer dans le parking souterrain, les rares fois où j'en emprunte une, je me gare dehors, parce que je n'ai pas de place attitrée, comme beaucoup d'entre nous ici. Ensuite, j'évite le local poubelles autant que possible, je préfère généralement utiliser les conteneurs dans la rue plutôt que ceux du sous-sol, vraiment je ne me sens pas tranquille ici. Restent les caves. Chaque appartement en ayant une, le mien n'échappe pas à la règle mais je n'y descends jamais. Je n'ai pas grand chose à y entreposer, sinon quelques affaires dont on se dit toujours qu'elles nous serviront plus tard. En l'occurrence, la férue d'électronique que je suis conserve une caisse remplie de téléphones portables trop vieux mais toujours en état de marche. Et j'ai besoin d'en récupérer deux. Un pour moi, un pour Zlatko.

Seulement voilà, ça fait environ dix minutes que je bloque, adossée au mur, le regard rivé sur la porte de ma cave, parce qu'une araignée absolument énorme a décidé d'y élire domicile. Je n'ai pas d'armes pour m'en débarrasser, bien évidemment, pas même un foutu mouchoir, et je ne peux pas m'éloigner parce que si je la quitte des yeux, cette connasse va rentrer à l'intérieur du box et je ne pourrais plus jamais y mettre les pieds. Alors j'attends. Un miracle. Et il se produit, plus ou moins, lorsque j'entends des bruits de pas dans les escaliers.

« Eh, excusez-moi, vous pourriez venir voir ? »

T'es pas vraiment sûr de ce que tu fais lorsque tu décides de te rendre au sous-sol, cet endroit glauque et sombre qui ne te donne rien d'autre que des frissons. Mais tu le fais, parce que les déménageurs avaient eu la bonne idée d'entreposer des affaires dans la cave rattachée à ton appartement, comme si tu n'avais pas assez de place dans ce dernier pour tout y mettre. T'aurais bien demandé de l'aide, mais sur le coup de la colère, t'as décidé de le faire toi-même, parce qu'apparemment, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Ton genoux te fait mal, et tu grinces des dents lorsque tu descends les derniers escaliers en boitant comme l'handicapée que tu es depuis quelques semaines. La lumière allumée, t'hésites un instant, peu rassurée à l'idée de croiser un détraqué, parce qu'au vu des phénomènes présents dans le coin, ça ne t'étonnerait même pas d'en croiser un ici. Tu retiens ta respiration, et avances lentement, te croyant dans une scène de mauvais film d'horreur où le personnage préfère avancer que de t'écouter lui crier de faire marche arrière, comme ta conscience actuellement. Fort heureusement pour toi, tu devines au son de sa voix que c'est une femme lorsqu'elle t'interpelle. Tu relâches un soupir de soulagement, y allant plus sereine que quelques secondes auparavant. "Je peux vous aider?" Demandes-tu en t'approchant, un léger sourire qui se veut rassurant au coin des lèvres.

Personnellement je me fiche bien que la personne qui se pointe soit un homme ou une femme. D'une part, je passe mes soirées entourées de vieux libidineux décidés à tout tenter pour réussir à poser leurs sales pattes sur moi, autant dire que je suis habituée aux présences masculines potentiellement indésirables. Ensuite, la seule chose que je demande en cet instant si c'est possible, c'est que l'inconnu.e n'ait pas une trouille des araignées comparables à la mienne, sinon son arrivée ne me sera d'aucune utilité !

En l'occurrence, c'est une jeune-femme qui approche, on doit avoir à peu près le même âge et les ressemblances entre nous m'effleurent un instant. Elle est un peu plus grande que moi, ce qui n'est pas plus mal, elle atteindra ainsi la bête plus facilement. J'esquisse un sourire désolé en désignant la porte toujours close de ma cave. « Bonjour. » Commencer par être polie est toujours une bonne idée. « J'suis désolée, c'est juste... Y a une araignée, juste là, sur la porte, et j'ai rien pour la chasser. » Je suis probablement au comble du ridicule et j'en ai parfaitement conscience, mais ce n'est pas comme si les peurs se maîtrisaient. Si c'était une question de vie ou de mort, sans doute aurais-je déjà trouvé une solution. Mais c'est seulement une question de téléphone et en l'occurrence, mon cerveau freeze devant l'ennemi. 

Ce n'est pas typique que de faire des rencontres dans un sous-sol, mais en regardant la jeune femme face à toi, tu ne la reconnais pas et en déduis donc que vous êtes des inconnues l'une pour l'autre. Après tout, tu n'es pas ici depuis bien longtemps, Leo, et le fait que tu te sois renfermé sur toi-même plutôt que de vagabonder un peu ne t'a pas réellement aidé à faire de nouvelles rencontres. Et il fallait que ça se fasse dans un endroit qui ne t'inspire pas pleinement confiance. Fort heureusement pour toi, elle ne semble pas perturbée, seulement dérangée par ce qui se trouve sur la porte de sa propre cave. Tu souris à son explication et continues de t'approcher. T'hésites un instant, pas très rassurée non plus, les araignées n'étant pas vraiment tes copines. "Bon. J'suis pas fan des araignées non plus, mais je devrais trouver quelque chose..." A ton tour, tu lui lances un maigre sourire, essayant de trouver une solution pour vous débarrasser de cet insecte intrusif. Tu n'as pas grand chose sur toi pouvant t'aider, et la seule chose qui finit par te venir, c'est d'utiliser une chaussure. Tu en enlèves donc une, et sans perdre plus de temps, tu l'écrases sans ménagement à l'aide de ta semelle. Ouf. Une fois fait, tu secoues ta basket avant de la renfiler et tu retournes ton attention vers la sauvée. "Le tour est joué. Désolé, la pousser au loin ne m'aurait pas rassuré alors..." Tu hausses les épaules, peu touchée par son sort, mais sait-on jamais que l'inconnue était contre le meurtre. "Leo," te présentes-tu en lui tendant la main, voulant finalement mettre un nom sur ce visage.

Premier point positif : la jeune-femme ne fait pas mine de ne pas m'avoir vue, ni entendue, lorsque je l'appelle à l'aide. A sa place, vraiment, je ne sais pas comment je réagirais si une personne seule m'alpaguait dans les sous-sols du Square, les lieux n'inspirent clairement pas confiance et j'ai déjà eu suffisamment d'emmerdes comme ça.Second point positif : elle ne prend pas ses jambes à son cou en avisant l'araignée sur ma porte, parce que si elle l'avait fait, elle ne m'aurait été d'aucune utilité. Elle n'est pas fan de ces bestioles -en même temps qui l'est ?- mais au moins n'est-elle pas paralysée comme je le suis au point de ne pas pouvoir agir. J'en pousse d'ailleurs un soupir de soulagement. « Bon sang, merci, vous me sauvez la vie. »

Lâche, je m'écarte légèrement, me déplace sur le côté, décidée à ne pas me faire attaquer par la Bête si on venait à la louper. C'est que je ne veux pas être sur son chemin, si elle se carapate à toute vitesse. Je détourne le regard, réprime un couinement ridicule quand la chaussure s'abat sur l'insecte, mais Dieu merci, un seul coup suffit. « J'suis désolée. J'aurais pu le faire avec ma propre chaussure mais j'arrive pas à m'approcher de ces trucs-là... » Je pousse un soupir, désespérée par ma propre phobie, avant de glisser ma main dans la sienne pour la saluer dans un sourire reconnaissant. « Mia. Merci pour le coup de main, vraiment. » Je sors enfin de ma poche les clés de la cave. « Je ne crois pas vous avoir déjà vue dans le coin, z'êtes là depuis longtemps ? »