High Rise

La station qui avait tenu lieu de décor à un film du milieu des années 1980 (Deux flics à Chicago) n'avait pas beaucoup changé depuis. Elle s'était modernisée bien sûr, mais elle conservait ses deux quais et un important flot de voyageurs à cette heure ; le gros de la masse avait été filtré par la dernière heure mais il restait encore pas mal de monde qui, le soleil revenant, sortait et se rendait à la terrasse des bars pour l'apéro.

Harley était de ceux-là. Il patientait dans l'attente d'un date sur LOL, les doigts tantôt actionnant les facettes colorées d'un Rubix Cube, tantôt consultant son téléphone au cas où la personne avec qui il avait brièvement correspondu ces derniers jours se manifestait. Ainsi qu'il l'avait indiqué, à la sortie de la salle, il avait recouvert son torse d'un sweat de sport qui étalait sur son torse le nom et sur son dos les paroles d'une chanson parmi les plus célèbres du groupe Muse.

La journée se terminait tranquillement et avec elle le shaker protéiné que le garde du corps des Black Flamingos avait emmené avec lui en partant du Square. Comme d'habitude il était très en avance, et si Nefertiti ne se pointait pas, il pourrait quitter les lieux pour se rendre dans le magasin de fringues qu'il avait repéré au bout de la rue.

Il faisait encore froid dans les rues de Chicago, ça avait motivé Zara à enfiler un jeans, des bottes solides et surtout une écharpe si grande qu'il lui fallait bien trois tours pour éviter qu'elle ne traîne trop. Elle avait également ganté ses mains, et comme il s'agissait d'un date, elle avait mis un peu de maquillage (c'était totalement pour ça qu'elle était en retard, parce que ça lui prenait toujours plus de temps que ce qu'elle imaginait).
Elle sortit du métro d'un pas sûr, prit la direction du bar mais avait l'expression perdue des gens qui cherchent quelqu'un dont ils ne sont pas sûrs de l'identité...

Son regard bleu pétilla, d'une expression contente et amusée en avisant le tas de muscles avec un pull marqué de son pseudo, recalant la lanière du sac à dos qu'elle portait, et se dirigeant vers lui.

« Harley ! Si je m'attendais à ce que ça soit toi mon date ! Je suis contente de te voir. »

C'était un des rares éléments de la vie qu'elle partageait auparavant avec Azz qu'elle était contente de recroiser, à vrai dire, et principalement parce que le garde du corps était d'un calme et d'une assurance irréelle.
Elle le salua d'une bise qu'elle se serait pas permise s'il avait été en service, comme il disait.

« ça fait longtemps, ça va ? »

Elle déposa son sac au sol, se glissa sur la chaise en face de lui.

S’il s’attendait à beaucoup de choses tant ce genre d’applications était pleine de surprises, Harley fut très surpris d’entendre quelqu’un l’appeler par son nom de famille et se diriger avec lui dans une démarche si déterminée, mais heureusement qu’il était assis quand il compris qu’il connaissait cette fille, et que ç’avait été la femme de son premier amour, et qu’elle avait un date avec lui.

« Zara ? »

Il était partagé dans le plaisir de la voir, car c’était une jeune femme très agréable, énergique et cultivée, et la gêne parce que ben, c’était l’ex-compagne d’Azz.
Il allait jaaaamais pouvoir la toucher.
Meeeeerde.

Il lui adressa toutefois un sourire sincère, et tendit la joue pour recevoir sa bise avant de se redresser pour être plus respectueux envers elle – il se sentit soudain de nouveau garde du corps de la jeune femme comme il l’avait été pendant quelques mois. Il reposa sur la table le cube parfaitement complété et adressa un signe de tête à la serveuse qui passait sur la terrasse pour qu’elle prenne la commande de la jeune femme.

« Ca fait très longtemps effectivement. Presque un an je crois ? »

Pendergast avait initié les premières démarches du divorce en Mars de l’année précédente, et elles traînaient davantage que ses propres pensées. Harley n’avait jamais compris ce qui avait brisé ce couple si parfait, et ne cherchait pas à le faire. Ca dépassait son entendement, et il n’était pas assez méchant pour être jaloux de la jeune femme en face d’elle.

« Je pensais pas vous retrouver à Chicago, à vrai dire je pensais que vous quitteriez le pays pour des fouilles archéologiques en Europe. »

La sensation d'être en face d'Harley était effectivement étrange ; ils avaient souvent partagé un café quand il l'accompagnait de çà de là (plus souvent en conférence qu'en shopping d'ailleurs) parce qu'Azz pouvait s'avérer paranoïaque sur la protection de sa femme ; maintenant elle ne portait plus son alliance, et lui n'était pas à son service, mais son date.
Quelle situation étrange, se dit-elle avec le détachement des scientifiques un peu trop perdus dans leur domaine pour vraiment tout capter des relations humaines.

« A peu près, quand on s'est séparés avec Azz. »

Elle sourit à la supposition d'Harley, secoua négativement la tête, l'encolure de son pull un rien trop large dévoilant son épaule dans le mouvement :

« Non ! J'ai ma thèse à terminer, et je peux difficilement travailler dessus si je suis en chantier, alors j'ai préféré prendre un appartement dans la tour nouvellement terminée... le Square, pour pouvoir finir d'écrire.
Les fouilles en Europe devraient pas tarder, cela dit », fit-elle dans un sourire. « Oh tu peux me tutoyer je t'en prie, on n'a plus à être formels maintenant ! »

Elle commanda un café, principalement pour se réchauffer, à emporter parce qu'elle avait dans l'idée d'emmener Harley quelque part.

« Et puis c'est plus simple d'être aux USA pour le divorce, même si Azz n'est pas... », elle haussa des épaules, ne voulant pas avoir l'air de se plaindre (alors qu'elle avait plein de trucs à dire là-dessus), « très fort en communication. Les choses ne sont pas évidentes. Bon et toi comment ça va ? »

Quelque part Harley était soulagé de constater que Zara n’étalait pas une forme de malaise ; bien sûr si elle se rendait sur un site de rencontres cela signifiait censément qu’elle tournait la page. Toutefois beaucoup de personnes fréquentant ce genre d’applications s’exécutaient pour chasser une peine de coeur et les dates sensuels et coquins se transformaient en longs exposés sur des relations aux fins horribles qui montraient que l’autre s’ancrait plus dans le passé sans parvenir à changer de cap. Zara n’était pas comme cela, et cette intelligence, si elle ne ferait pas chavirer le coeur d’Harley, avait quelque chose de terriblement excitant.

« C’est vrai, désolé. » fit-il remarquer quand elle lui proposa de ne plus se tutoyer. « Tu as l’intention de ne pas rester longtemps ? » demanda-t-il quand il remarqua qu’elle prenait à emporter.

Il s’était douté du fait que la même pensée les avait traversés mais pas au point qu’elle fasse demi tour si rapidement. Alors que la serveuse repartait, Harley était en train de se demander sérieusement comment Zara faisait l’amour, quand cette dernière lui demanda après ses menues nouvelles comment se passait son quotidien depuis.

« Eh bien j’ai arrêté de servir à la sécurité d’une seule personne en permanence. C’est une expérience intéressante mais ce n’est pas comme ça que j’ai envie de terminer ma vie. » Il passa sur les remarques de Zara, avec lesquelles, fiché dans des restes de ses sentiments pour le PDG audiovisuel, il n’était pas d’accord. « Donc maintenant je travaille à la piscine et à la salle de sport du Square, justement. J’y habite aussi. J’aimerais te dire que c’est étonnant qu’on ne se soit jamais croisés mais avec un immeuble de cette taille...c’est une mini ville. » commenta-t-il avec un sourire.

Le café de Zara se pointa, et Harley indiqua à la serveuse de lui filer la note qu’il régla instantanément d’un billet dont il ne reprit pas la monnaie. La serveuse, rouge de plaisir pour plusieurs raisons combinées et évidente, repartit d’un pas dansant que Harley, dans son habitude des culs masculins, ne contempla pas.

Elle secoua négativement la tête, un sourire aux lèvres ; bien sûr qu'elle avait espéré un plan cul rapide et sans prise de tête et qu'avec Harley c'était très compromis, mais avec sa rapidité d'esprit habituelle, elle avait changé de projet.

« Non, je t'avais promis de t'emmener quelque part, je t'emmènerai », fit-elle, volontiers mystérieuse. « Je boirai mon café sur le chemin. »

Elle n'avait, bien sûr, qu'assez peu d'idées sur les raisons qui avaient poussé Harley à se reconvertir en maître-nageur et coach fitness (raisons qu'on aurait pu condenser dans un tome nommé les brillantes idées de Pussycat), même si Azz lui-même n'avait pas toujours été loin s'en fallait, d'une probité exemplaire le long de leur mariage.
Zara était assez forte pour fermer les yeux sur ce genre de choses ; moins elle en savait, moins elle risquait.

« C'est clair je n'arrive même pas à me représenter mentalement le nombre de personnes qui vit là-dedans. Il y a du monde qui passe à la piscine et à la salle ? »

Le sport hormis crapahuter dans des endroits de fouille, n'était pas totalement le truc de Zara on s'en doute. Elle récupéra son café avec un remerciement cordialement ignoré par la serveuse plutôt à l'affût d'un moindre regard de la part de l'ex-garde du corps, récupéra son sac, son écharpe, et son manteau.

« Allez suis-moi je vais te montrer un truc intéressant. »

Elle l'entraîna dans ses pas vers la station de métro, et devant une porte marquée personnel autorisé seulement, fouilla son sac en expliquant :

« Je comptais n'emmener mon date ici que s'il était pas louche et vu que c'est toi... Tu verras c'est très cool, on va remonter jusqu'à une station qui n'est plus en service ! J'ai eu les clés grâce à la fac. »

« En vrai pas mal. Bon c’est pas une fourmilière mais oui, le taux de fréquentation s’est élevé ces derniers temps. Ca fait partie des endroits où on voit tout le monde se croiser quelque soit leur étage et c’est rafraîchissant. Je m’emmerde jamais. En revanche on va peut-être devoir accueillir de nouveaux membres dans le staff. »

Ils ne pouvaient pas tout surveiller et tous les Black Flamingos n’officiaient pas dans cet endroit de la tour – l’un d’eux d’ailleurs que Harley connaissait très bien, fuyait les lieux comme la peste pour un tas de raisons parfaitement légitimes. Mais ça posait la question d’embaucher des gens qui ne faisaient pas du tout partie de cette petite organisation nocturne et beaucoup de monde était moyen chaud pour l’idée.
Mais en même temps on ne pouvait décemment pas bosser de jour et de nuit en restant parfaitement sain sur le long terme, ils allaient péter des câbles.

Zara amorça son départ et Harley récupéra son Rubix Cube et son shaker qu’il fourra tous les deux dans le petit sac à dos qu’il avait amené avec lui et qu’il passa sur son épaule massive. Il suivit Zara jusqu’à l’entrée de la station de métro. L’incongruité de la situation provoqua un léger rire de la part du mastodonte.

« Wow tu as des idées très étranges d’endroit ou emmener tes dates. »

Il fallait dire qu’elle sortait d’une relation avec un mec parfaitement conventionnel sur la question, et qu’il était normal qu’elle ait envie de changer un peu. Harley lui tint la porte quand elle l’ouvrit et s’engouffra à sa suite.