Hélium. || Libre !

Il faisait super beau en cette journée de mars qui annonçait l’imminence du printemps. Le père avait congédié son fils après l’inventaire épuisant de la boutique ce matin, et Icare s’était retrouvé un peu désœuvré. L’habitude selon laquelle son daron l’accablait de travail se retrouvait soudain brisé, et il savait pas trop quoi faire de son cul. C’est ainsi qu’il s’était perdu dans la bibliothèque pour récupérer de quoi occuper son esprit cet après-midi. Impensable de se cacher à l’intérieur des lieux avec un temps pareil, il avait posé son cul sur le parvis de la bibliothèque avec un bouquin très complexe de traitement des cristaux. Si la partie historique de l’étude l’avait passionné, il se perdait désormais dans des histoires de traitement scientifique de la pierre auxquelles il ne comprenait que pouic. Sa concentration prit son envol au sens propre du terme : de secondes en secondes, le voilà qu’il quittait le sol dans une position en tailleur pour s’envoler de plus en plus haut tel un moine en pleine méditation...ou un ballon d’hélium.

Je sais même pas ce que je fous là. En fait, le truc, c'est que ma ruelle n'est pas suffisante pour certains de mes clients qui préfèrent faire ça dans des endroits bondés. Le risque de me faire choper est complet, et j'en ai un peu marre d'attendre, qui plus est. Je sais pas, en général, ils sont ponctuels, les rats de bibliothèque, nan ? Enfin, en général, mes clients sont ponctuels parce qu'ils sont en manque. Là, ça a l'air d'être une situation différente, et ça m'agace. J'aime pas trop le changement. Ça m'irrite. M'enfin, il arrive finalement. Il me mène à une salle reculée, ce qui me semble être une salle des archives. J'en sais rien au fond, je veux juste qu'on fasse l'échange au plus vite pour pouvoir me barrer.

Enfin. Terminé. Je peux repartir à ma ruelle pour aller dormir un peu. Comme je bosse - en général - la nuit, bah, la journée, je dors. Le temps de profiter qu'il m'offre un café à la machine, c'est jamais de refus quand on m'offre un truc à boire. Ça va me réchauffer un peu avant mon dodo, et potentiellement m'endormir un peu. Il part plus vite que moi et je prends mon temps. Jusqu'à voir quelqu'un léviter, carrément. Le gars est tellement pris dans sa lecture qu'il ne se rend pas compte qu'il lévite. Je m'approche, je l'observe plus ou moins longuement. Je finis mon café à le regarder puis je décide de l'interloquer. Je tire sur le vêtement sur son poignet. « Eh, tu planes peut-être un peu trop, mec. » Je souris, fier de ma blague.

La concentration d’Icare était telle que lorsque quelqu’un s’immisça dans sa bulle, cela le fit sursauter violemment. Le jeune homme se redressa dans un craquement d’os.

« Wooow ! »

Et perdit la maîtrise de son pouvoir pour retomber prestement sur les marches. Il eut le réflexe de déplier ses jambes mais pas suffisamment pour ne pas se casser la gueule. Le choc, mat, distribua des pépites de douleur le long de ses jambes, mais au moins son coccyx ne céda pas ; ce n’était pas le moment pour lui de se mettre en arrêt de travail parce qu’il s’était cassé la gueule dans les escaliers. Que dirait son père ? Qu’il était incapable doublé d’un idiot, assurément, et qu’il devait bosser quand même.
Non mais.

« Waaaah, le retour à la réalité je le voyais pas comme ça la vache. Merci. »

Il se redressa en grommelant une suite de pensées sans queue ni tête et à vrai dire, un peu vulgaire, et il referma le livre qui heureusement, n’avait pas pris trop cher.

« J’peux vous aider ptètre ? » demanda-t-il de ce ton commercial qu’il utilisait avec les clients de la boutique.

Je fais un bond en arrière en le voyant sursauter. Bordel, il peut pas être un peu plus doux ? J'imagine bien que je l'ai déconcentré dans quelque chose d'intense mais tout de même. Un peu de retenue. Il a l'air perché, ce mec. Déjà, il plane littéralement, mais je suis certain qu'il planait aussi dans sa tête. A quoi il pensait ? Putain, c'est peut-être un peu trop tard pour ça, mais je tente de m'immiscer dans son esprit pour capter les restes. Coccyx, arrêt de travail, idiot. Ah, il a failli se faire mal en retombant. OK, en fait, rien de troublant. Je suis arrivé trop tard. « Bah, de rien. » Je hausse les épaules. C'était pas grand chose mais putain qu'il m'a fait peur ce con.

Son ton commercial ne me plaît pas trop. Mais je ne suis pas venu pour qu'il me vende quoi que ce soit de toute manière. « Non merci, c'est bon. » dis-je avant de revenir sur ma décision. L'ennui quand je n'ai pas de client est mortel, dans ma rue. Peut-être qu'il est temps d'avoir de nouvelles distractions. « Mh... Ou p'tet que si. J'vais pas te mentir, j'suis fauché donc j'achèterai rien. Mais je crève d'ennui alors... Tu lisais quoi ? »

De rien de quoi ? D’avoir failli lui casser les os rien qu’en existant ? Tu parles d’une chance. Il se massa les reins juste pour se donner l’impression de se masser la zone qui avait pris cher dans sa chute – car bien évidemment il n’allait pas se peloter le cul en public, ça pourrait devenir gênant – tandis que l’autre semblait le considérer avec la méfiance typique des mecs qui en ont marre de croiser les foutus démarcheurs de la croix rouge en pleine rue, ce qui au demeurant était largement compréhensible. Il lui adressa un sourire enjôleur pour tenter d’apaiser ces traits tirés qui donnaient l’impression qu’il faisait la gueule, et cela dut marcher, car l’inconnu lui avoua qu’il s’emmerdait menu, et lui demandait ce qu’il foutait.

« Y’a rien de mieux qu’un bon livre contre l’ennui, mais tu sais peut-être pas lire ? »

C’était hautement insultant, mais si Icare avait connaissance des bienséances envers les inconnus qui n’étaient pas des clients, ça se saurait. Il était courant dans ce quartier de croiser des gens qui ne savaient pas additionner des chiffres ou déchiffrer même les panneaux des enseignes. Icare irait pas jusqu’à dire que c’était ce qui créait la violence dans les lieux parce que lui avait tendance à vouloir mettre des baffes dès qu’on le prenait pour un idiot sous prétexte qu’il avait la couleur de peau un peu trop foncé pour les rares blancs becs qui se risquaient dans le coin.

« C’est un bouquin sur les pierres, je suis bijoutier. T’es pas en cours, ou quelque chose du genre, à cette heure-ci ? »

High Rise

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