High Rise

Quand on ne me connaît pas, ou quand on connaît la pire facette de moi, ce qui est assez habituel en fait, on se dit que je n’ai pas grand-chose à foutre dans une église. C’est vrai, un enfoiré pareil ne peut pas croire en Dieu, il ne peut pas manquer de tuer des gens un peu chaque jour pour ensuite faire naturellement ses prières le soir avant de se pieuter. Il ne peut pas serrer le budget de ses acteurs toute la journée de telle sorte qu’ils peuvent à peine bouffer à la fin du mois pour ensuite, son boulot terminé, dire le bénédicité devant une grande table pleine de victuailles comme si le problème de la fin dans le monde avait été réglé.
Et pourtant.

Pourtant j’suis là, à renouer avec de très vieilles origines comme si j’avais déjà été dans le coin. En un sens je suis dans le coin tous les Dimanche, c’est juste que c’est jamais le même endroit, physiquement.

J’ai raté la messe de ce matin, c’est pas bien. Faut dire qu’en baisant toute la nuit on se lève difficilement à l’heure de la messe le dimanche, c’est que c’est plus trop de mon âge, tu vois. Mais c’est pas grave, parce que la porte de Dieu est toujours ouverte. Même quand t’es pas censé avoir le moindre avenir, même quand tu restes bien trop longtemps à l’orphelinat pour que ce soit normal, Dieu est là.

Ca fait bien longtemps que je n’ai plus de chapelet de perles noué entre les doigts mais ce n’est pas grave : le soleil transcendant, qui traverse les vitraux pour colorer le sol de pierre de jaune, de rouge, de rose et de bleu, colorie un Mandala qui me transporte suffisamment pour prier.

Soeur Timothée entre dans l'église d'un pas pressé. Elle a la clope au bec et s'en rend compte arrivée au niveau du bénitier. "ah merde." Elle éteint la clope en mouillant le bout rougeoyant, avant de se signer avec un peu d'eau en marmonnant "pardon seigneur. Au nom du Père, du fils, du St esprit, et de la Ste Vierge" Elle fourre le mégot éteint dans la poche de robe de nonne avec laquelle elle passe inaperçue en ce lieu.

A cette heure-ci, l'Eglise est toujours vide. Même les vieilles bigotes sont en train de débarrasser la table du repas dominical passer en famille après la messe. C'est l'heure du café et des biscuits. Le curé est en train de cuver son vin de messe quelque part dans son presbytère, gavé de tarte aux pommes offerte par les plus saintes femmes de sa paroisse. Les osties distribuées le matin ont apaisé les âmes et le confessionnal est vide. Seules les bougies allumées témoignent des personnes passées honorer Dieu et tout sa clique ainsi que la mémoire des morts.

Un coup d'œil à droite, à gauche, Sœur Timothée ne voit pas la silhouette dans le rayon de lumière qui l'éblouit comme une vieille taupe à la vue basse. Armée de son tournevis, elle s'en va démonter le coté de la boite à dons près des bougies en vente comme elle le fait tous les dimanche à cette heure-ci. Chaque semaine, elle dévisse les quatre vis sur le coté pour prendre les trois quart de l'argent, puis remet la plaque en bois et les vis. Ni vu ni connu. "on en a déjà parlé Mon Dieu, c'est pour la bonne cause...limitation des intermédiaires..."

Des cliquetis ornés de murmures qui pourraient tout aussi bien être une litanie percent le voile de ma méditation au cours de laquelle je faisais le point sur ma trépidante vie sexuelle vécue jusqu’à présent et à venir. J’ouvre les yeux et l’étalage de mon tableau de chasse disparaît. La scène du Christ crucifié lui succède, dramatique, dévastatrice, baignée dans la lumière de la fin de matinée. Curieusement cet amas de chair torturée figé dans la pierre me donne faim, ou c’est sans doute l’heure.

Je me redresse et finis, dans un léger grincement de bois, par quitter le banc sur lequel je m’étais installé. Je quitte la nef pour rejoindre le bas-côté que je longe, quand soudain je m’arrête à côté d’une petite silhouette qui semble s’excuser.

« Un peu d’aide, ma Sœur ? » que je demande, mutin. « Les fidèles vous aident donc si peu pour que vous subtilisiez ainsi les offrandes faites au Seigneur ? »

Mon regard n’est ni réprobateur ni méprisant ; suis-je après tout tout blanc moi-même ? Non, pas vraiment, pas du tout, même. Les mains dans les poches de mon costard chamarré, je contemple cette intermédiaire de Dieu dans ses plis sombres et banaux. Rares sont les sœurs qui me semblent jeunes ; comme si elles prenaient le voile après un certain âge, lassée d’avoir tout vécu.

Je sors de ma poche mes doigts autour desquels s’enroulent deux gras billets que je laisse tomber dans son réceptacle. Puis je m’empare d’un des cierges pour l’enflammer à la lueur d’un des autres déjà plantés, pour ma brave Apolline, ancien bourreau que je ne me suis jamais résolu à oublier.

Soeur Timothée sursaute à la voix près d'elle, elle porte la main qui tient le tournevis à sa poitrine. Elle se signe rapidement en coulant un regard à l'inconnu avant de soupirer. "Jésus Marie Joseph, mets donc des grelots à tes godasses mon fils, tu as failli me faire faire une crise cardiaque. Le silence n'est pas forcément de mise dans une Eglise tu sais, Dieu aussi aime bien qu'on lui parle. " Elle s'acharne sur les vis récalcitrantes. "Le problème c'est pas tant les fidèles que le Curé...Eclaire moi donc mon enfant, j'y vois plus très clair." Elle attend que l'homme s'exécute, s'il est croyant et au cœur pur ou au moins à l'intelligence déliée, il l'aidera, sinon elle devra encore plaider sa cause auprès d'un policier catholique. Il y en a qui ont encore bon cœur.

La dernière vis cède et roule au sol. "Zut !" Soeur Timothé fait main basse sur son butin tout en levant les yeux vers la vierge, un regard complice entre femmes qui ont galérer. Elle sait ce que c'est, celle qui a du fuir pour sauver son enfant et sa vie. Tim laisse une partie des pièces et empoche l'autre. "La prochaine fois il faut que je repense à ramener de la pâte à bois. J'ai de plus en plus de mal à revisser, ça ne tient plus à forme. Le Père Keenan va finir par se rendre compte de quelque chose. On ne peut pas dire qu'il ait l'esprit vif mais tout de même..."

« Pardon ma sœur. » je réponds dans un rire froufroutant. « C’est qu’à l’ordinaire je suis comment dire... »

Je baisse les yeux sur ma poitrine, recouverte d’un costume de brocart rouge liseré d’or comme s’il s’agissait d’un d’étendard, une cible dans laquelle tirer sur le champ pour conquérir le monde.

« ...suffisamment voyant pour qu’on me remarque tout de suite. »

Amusé, je retire mon regard de la flamme pour l’instant timide qui danse au sommet du « cierge d’Apolline », pour le poser sur la digne femme qui me demande de l’éclairer. Je sors alors mon portable d’une poche intérieur, et d’un mouvement de doigt sur l’écran tactile de cette merveille hors de prix, actionne le flash qui projette autour de nous un halo d’une blancheur irréelle, qui donne l’impression que le Saint Esprit lui-même bénit l’acte de la nonne.

« Disons que si ce n’est pas le père qui s’en rend compte » dis-je en reprenant mon téléphone de nouveau éteint une fois le méfait accompli « ce seront les fidèles, et la chrétienté n’a pas toujours rendu ces derniers aimables, vous le savez sans doute mieux que quiconque. Il ne faudrait pas beaucoup de temps pour qu’ils l’alertent et déclenchent une chasse aux sorcières. »

Je hausse les épaules.

« Ca serait drôle à voir. Mais qu’allez-vous faire de tout cet argent ? Les femmes d’honneur comme vous ne font-elles pas vœu de minimalisme au quotidien ? »