High Rise

Tu laisses échapper un profond soupir d’agacement, à la recherche intensive de tes écouteurs. Pour la… huitième fois? Au moins ça. C’est que tu as un don particulier pour perdre ce genre de chose, encore plus depuis qu’ils ont eu la brillante idée d’inventer des écouteurs sans fils, augmentant les chances de les égarer. Les fameux airpods, accordés à ton téléphone Apple dernier cri. Au moins, le téléphone a le mérite d’être vrai, contrairement aux écouteurs. Et dans le fond, encore heureux, vu la vitesse à laquelle tu les perds aussi facilement qu’on ne perd un cil de vue en soufflant dessus. Dramatique. Tu t’insurges intérieurement, une main tapant ta tête comme la folle que tu peux être. “Mais non, c’est pas possible… pas encore, putain,” grognes-tu plus pour toi-même qu’autre chose. T’allais tout de même pas devoir retourner, pour la énième fois, à l’épicerie de Billy pour des foutus écouteurs, surtout que tu finis par être à court de monnaie d’échange et que si ça continue comme ça, tu vas devoir finir par donner ton cul en échange de quelque chose si tu ne daignes toujours pas vouloir payer en simple dollars, là-dedans. Nouveau souffle, et tu te diriges vers la chambre de Romeo, espérant là que c’est lui qui les a pris pour tu n’sais quelle raison. Toujours pas. Celle de Jules, non plus. Putain. Tu fouilles ta mémoire volatile, essayant de te souvenir la dernière fois que tu les avais eu dans les oreilles, ce qui remonte pourtant à pas longtemps, étant donné le temps astronomique que tu passes à écouter de la musique. Dernière chance, en vain, et tu sais que tu vas devoir te bouger pour aller en prendre de nouveaux. Parce qu’il est hors de question que tu puisses survivre sans ça. T’enfiles donc ta veste, résignée à retourner chez le receleur du Square, et tu sors de l’appartement rapidement puis prends la direction du dixième étage. Par l'ascenseur, s’il vous plaît. Une fois à bon port, tu te diriges vers l’endroit que tu connais par coeur à force de t’y rendre, et tu tombes des nues en ne voyant pas les fameux. Les précieux. Tu lances un regard au vendeur du coin, sourcils froncés, air dépité collé à la face. Non, pas possible. “Ne m’dis pas que y’a pu d’écouteurs?” que tu demandes, une dernière ficelle d’espoir dans le coeur, qu’il en ait à côté d’lui ou cachés quelque part.




@billy zelenski

T’as un sourcil qui se hausse à sa réponse formulée en question de retour. T’hésites un instant - voyant là une perche à prendre avec une touche d’ironie et une pointe de sarcasme, à répondre sérieusement ou non. T’as le cerveau en ébullition à l’idée de ne pas pouvoir écouter ta musique calmement tout à l’heure. Et c’est donc la réponse la plus spontanée qui se propage entre tes lèvres. “Le type d’écouteurs qu’on se met dans les oreilles?” Parce que, pour la simple et bonne raison que t’es légèrement folle sur les bords, il fallait que tu la sortes. Tant que tu peux t’en servir, et surtout au point où tu en es, tu te fiches bien qu’ils soient avec ou sans fils. Le reste des choix éventuellement proposés étant des casques, tu n’cherches pas plus loin. Parce que c’est pas ça que tu veux, ça te va pas trop, et t’aimes pas avoir un gros truc aussi inconfortable sur ta tête. Tu finis par te redresser complètement et te diriger vers lui à sa deuxième question, remarquant son sourire pas très très accueillant.  Cette fois, t’as un léger rire qui te secoue l’espace d’un instant, le comique de la situation te frappant. On dirait une pauvre SDF, vu comme ça. Mais au plus tu peux garder ton fric pour toi, au mieux tu te sens. Ouais. “J’sais pas. Ça dépend si tu veux quelque chose,” réponds-tu en haussant les épaules. Bien sûr, t’as rien à faire échanger. Mais pour une fois, t’as quelques billets dans tes poches.

Il est pas drôle, Billy, et tu l’sais pourtant bien à force d’être venu ici pour tout et n’importe quoi. Surtout pour n’importe quoi. Mais là, ça t’fait souffler à ton tour de voir qu’il ne semble pas vouloir coopérer à ta pseudo blague en te répondant avec une nonchalance extrême. Tu comprends bien là qu’il t’envoie royalement chié si tu n’as pas quoi que ce soit pour obtenir des satanés écouteurs. Tu regardes autour de toi encore une fois lorsqu’il baisse à nouveau ses yeux sur son carnet, et tu regardes même autour de lui, parce qu’on n’sait jamais. Mais si écouteurs il y a, ils sont bien cachés. Alors à contre coeur, tu plonges ta main dans ta poche et tu en ressors quelques billets que tu avais pris juste au cas où. Tu sais pas combien t’as pris exactement, t’as pas pris le temps de compter, mais tu sais qu’il y a au minimum cinquante dollars, parce que c’est tout ce qui traînait dans ta chambre. “S’il reste un peu d’monnaie, n’hésites pas à m’faire un petit cadeau, hein,” que tu fais en ricanant, parfaitement consciente qu’il ne le ferait pas. Surtout pas pour toi, même si tu lui donnais là, pour une fois depuis longtemps, de l’argent. Du vrai.

Une fois les billets posés, tu croises les bras, un poil impatiente de savoir si t’allais passer ta soirée à aller emmerder n’importe qui pour être repartie sans tes précieux ou si tu les aurais, et que tu la terminerais tranquille. Il semble pas trop y croire, le gars, lorsque tu lui déposes l’argent et qu’il attrape les billets pour les examiner avec précision, ce qui te vexerait presque. T’es du genre à bien des choses, Cora, mais t’es pas de celles qui paient avec de l’argent illusoire. Tu préfères encore t’arranger d’une façon pas franchement bien morale et digne, que de ne pas en avoir du tout -de dignité- en faisant juste semblant de payer. Pourtant, tu sais bien dans l’fond qu’il est totalement légitime qu’il se méfie. Après tout, t’es pas non plus la première à qui on ferait confiance en un claquement de doigts, loin de là, même. Donc tu dis rien, tu la fermes et attends. Tu te sens soulagé lorsque tu le vois attraper une boîte, bien rangé tout près de lui et à la vue d’absolument personne sauf lui. Il te demande le modèle, et sa remarque t’arrache un nouveau froncement de sourcils. C’est qu’il semble te connaître, à force, et qu’il ne semble pas convaincu quant à tes capacités de garder assez précieusement ces objets que tu n’peux pas t’empêcher de perdre à un moment ou un autre. La dernière fois, c’était à cause d’un écouteur tombé dans la cuvette des toilettes. Ça s’ra quoi, la prochaine fois? “Mets moi des lightning avec fil, s’te plaît, les sans fils me portent apparemment la poisse, d’toute façon,” que tu fais dans un soupire. De toute façon, c’est pas comme si tu n’reviendrais pas dans quelques semaines pour l’emmerder à nouveau avec ça. Autant rester sur du bas de gamme, après tout.

Tu t’rends bien vite compte du ridicule de la situation, Cora, alors que tu regardes le brun rechercher ta foutue paire d’écouteurs. Seras-tu capable un jour de les garder assez longtemps, plus d’un mois au moins? T’en sais trop rien, comme si la poisse semble vouloir te coller à la peau concernant ses objets que tu utilises absolument tous les jours. Comique. Ouais, c’est plutôt absurde, mais t’es bel et bien incapable de t’en passer. Alors t’es ici, pour la énième fois, et sa question lorsqu’il te tend la paire te trotte dans la tête. Tu restes songeuse un instant, pesant le pour et le contre. Peut-être serait-il plus prudent que tu fasses le stock, effectivement, et qu’tu profites d’avoir de l’argent pour le faire. “T’as peur que je revienne la prochaine fois sans rien à te proposer?” que tu demandes, sourcil droit arqué dans un air d’ironie. Pas comme si il y avait toujours un moyen de monnayer, d’toute façon. Alors dans un sourire faussement désolé, tu reprends les billets restants, que tu t’empresses de fourrer à nouveau dans ta poche. Avec $30, tu préfères encore aller chercher de l’herbe. Tiens. “Ou alors, si tu as de la bonne weed, je t’en prends pour les $30 restants,” renchéris-tu, parce que même si tu sais qu’il t’en reste là haut, on en a jamais trop.