(Naperville) - Dans la vie, il faut savoir écouter les autres. Tu n'es pas les autres. || Lollipop

La radio ne captait évidemment pas dans le parking souterrain alors Harley avait lancé un vieux CD de blues qui avait probablement appartenu à Balthazar, son précédent patron qu’il avait laissé dans les hauteurs du pays voilà quelques temps, quand il s’était séparé de Zara. Ce n’était pas la meilleure idée du monde, parce qu’il avait toujours nourri pour ce supérieur qu’il connaissait depuis vingt ans une somme de sentiments flous qu’il ne s’était jamais avoués et qui, la musique aidant, remontaient dans sa gorge avec mélancolie, comme un bain qui doucement se remplissait pour vous engloutir après la journée la plus horrible de votre vie.
Harley avait envie de fumer, mais beaucoup moins envie de déclencher l’alarme incendie, alors il réalisait avec talent et concentration un rubix cube complexe qu’il faisait tournoyer entre ses doigts au rythme de la musique.

Legence lui en devait une depuis ce gros coup dans le sud de l’Arizona au cours duquel il avait sauvé la moitié du pactole sans sourciller, et puisque Harley avait fait partie de ceux qui se cachaient dans un appartement basique et non pas dans une baraque, pas comme le vieux Chipi qui chantait la sérénade dans sa villa de 250m², il avait tenté le coup.
Ca lui permettrait sans doute de conclure cette nuit ; pour une nuit, mais une nuit qui ferait du bien.

La porte de métal de l’escalier claqua dans un tonnerre qui se répercuta en écho dans le parking désert ; Harley se dit alors que peut-être, va savoir, la demoiselle qu’il avait contacté avait la trouille et se pointerait avec des potes armés jusqu’aux dents. Peut-être même était-elle une tueuse en série.
Mais ça, c’était moins sûr.
Il y avait une très faible probabilité pour que deux tueurs en série se réunissent inopinément dans la même voiture.

Je n'ai pas réfléchi.

Non, vraiment, je n'ai pas réfléchi. Sinon, évidemment, j'aurais pensé à emporter un manteau, en sortant de l'appartement, parce que je me serais souvenue que les parties communes du Square ne sont pas chauffées, et encore moins le parking de l'immeuble ! Au lieu de ça, je suis sortie exactement comme j'étais, c'est-à-dire en pull cropped vert pistache qui ne me couvre même pas le nombril. En même temps, vingt minutes, c'est un peu court pour se préparer, et puis s'il a vraiment l'intention de m'emmener dans un jacuzzi, l'important, c'est mon maillot de bain, non...? Merde, j'ai oublié mon maillot de bain. Bon.

Je laisse la porte de l'escalier claquer derrière moi, et je trottine jusqu'à la place de parking indiquée dans le dernier message, arborant dores et déjà un large sourire. Je ne me suis pas changée, mais je ne me pointe jamais les mains vides, nulle part. J'ouvre la portière, comme à la maison, et me penche pour adresser un sourire au conducteur... Plus âgé que je le pensais mais aussi beaucoup plus canon ! Moi qui craignais de me retrouver avec un moche. J'agite une petite boîte en cartons. « Haych', je suppose ? J'ai apporté des sucreries. »

Lorsqu’il vit la demoiselle se pointer, Harley comprit très vite qu’il avait affaire à un phénomène. Il se doutait qu’elle était jeune, plus jeune que lui, mais il n’aurait pas pensé à ce point. Pourtant, la constatation selon laquelle cette petite demoiselle échappée de la cage d’escalier comme une fée d’une autre dimension avait l’âge d’être sa fille ne l’incommoda pas plus que cela. Si elle était mignonne et qu’ils avaient froid tous les deux, où était le problème après tout.
Il se débarrassa de son rubix cube en le jetant sur le tableau de bord quand elle ouvrit la portière comme s’ils se connaissaient depuis toujours.

« Lui-même. Tu peux m’appeler Harley, c’est pour l’initiale. Lollipop, c’est ça ? » Il jeta un œil aux bonbons qu’elle avait apportés. « C’est ça. » confirma-t-il dans un sourire. « Monte, je t’en prie, je t’emmène en balade. »

Il lui tendit la main pour l’aider à se hisser dans l’habitacle. Elle était adorable comme tout, mutine et à moitié découverte, si bien qu’ils auraient pu faire leur affaire rapidement dans la bagnole et repartir faire leurs trucs à côté sans que l’équilibre des choses n’en soit particulièrement perturbé.
Mais Harley avait parié, donc il allait honorer son pari.

Il démarra la Jeep dans un vrombissement grave qui semblait venir du centre de la terre, coupant légèrement le CD quelques secondes le temps que l’ensemble du système se stabilise, et relâcha le frein à main. Quelques dizaines de secondes plus tard, le parking vomit la grosse bagnole sur Chicago avenue.

« On a trois petits quarts d’heure de route pour arriver à destination. Alors, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » demanda-t-il gaiement.

Son sourire communicatif illumine mes traits en miroir, et je m'engouffre dans la Jeep parce qu'il semble m'y inviter rien qu'en posant les yeux sur moi. La légère pointe d'inquiétude que je devrais très probablement ressentir à me retrouver seule dans un parking désert avec un parfait inconnu ayant le double de mon âge ne se pointe pas. Pas du tout. Il a de ces carrures qui me donnent irrésistiblement envie de lui faire un câlin. Et si vous dites que j'ai toujours envie d'en faire à tout le monde... Vous aurez très probablement raison.

« Tu peux m'appeler Daisy. » Je renchéris dans un sourire, en posant la boîte de sucreries sur mes genoux.

Contrairement à lui, je crois que je n'aurais pas apprécié de faire ma petite affaire là, dans sa bagnole sur le parking. Non pas que ça ne me soit pas déjà arrivé, mais j'admets que j'ai besoin d'un tout petit peu plus que ça pour me déshabiller entre les bras d'un inconnu. Si je suis ivre, même légèrement, c'est une autre histoire. Mais ce soir, je suis parfaitement sobre.

« Trois quarts d'heure ? Où est-ce que tu m'emmènes ? » Je tourne le museau vers lui, les lippes toujours étirée en un léger sourire. « Je suis pâtissière. Dans un coffee shop. Et toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? Veilleur de nuit dans des baraques de luxe ? »

La racine illégale vibra quelque part en Harley lorsqu’il entendit la jeune femme lui confier la manière dont il avait le droit de la nommer.

« Daisy ? C’est joli. C’est ton vrai nom ? » demanda-t-il.

Il tourna dans la rue adjacente pour prendre le périphérique afin de sortir de la ville. L’après-midi était déjà bien avancée, et dans peu de temps, la lumière commencerait à descendre. Il s’agissait d’un beau jour d’hiver, qui s’éteindrait moins rapidement que les autres mais qui laisserait entendre à quel point les longues soirées d’été manquaient. Pour ne rien cacher à la demoiselle qui lui offrait tout de même une preuve de confiance transcendantale alors qu’ils ne se connaissaient pas, il choisit ce moment pour allumer le GPS intégré au tableau de bord afin qu’elle puisse distinguer l’itinéraire qu’ils allaient suivre et le délai qui s’écoulait jusqu’à la destination. Il leur faudrait effectivement trois quart d’heures à parcourir pour gagner la ville de Naperville, respectable ville à 30 miles de là qui se situait proche de réserves forestières.

« Juste là bas. Tu m’as demandé de te trouver un feu de cheminée et un jacuzzi, et il se trouve que j’avais un collègue qui m’en devait une, alors je t’emmène là où on peut trouver ça. »

Il lui rendit son sourire.

« Pâtissière hein, wah. Eh bien presque figure toi, j’ai été garde du corps pendant très longtemps. Je bosse comme maître nageur à la piscine maintenant. Je crois pas t’y avoir croisée, je m’en serais souvenu. »

Il lui adressa un clin d’œil, enjôleur.

« Daisy tu as l’honneur de faire le DJ pour ce voyage, les CD sont dans la boîte à gants. »

Je hausse un sourcil, légèrement amusée. « C'est mon vrai nom, oui. » Mon père était un personnage au patronyme plutôt banal et il n'aurait jamais accepté que ce soit le cas pour sa fille. L'important, disait-il toujours, c'est que l'on se souvienne de vous. Il a voué sa vie à cet objectif, et je ne suis pas sûre que le monde entier se souvienne de lui mais je n'oublierais pas, moi, en tout cas, ce qu'il était. D'ailleurs mon prénom me le rappelle constamment.

« Je pensais sincèrement pas que tu relèverais le défi quand je t'ai parlé du jacuzzi. T'as des collègues franchement pratiques. »

Le clin d'oeil fait sur moi son petit effet et j'esquisse un sourire conquis, sans m'empourprer pour autant parce qu'après tout il a raison : il s'en serait souvenu. Je me penche pour ouvrir la boîte à gants. « C'est ta voiture ou celle d'un collègue qui t'en devait une ? » Mutine, je déploie les CD entre mes mains comme je le ferais d'un jeu de cartes. « Garde du corps... T'en as bien la carrure, oui. Mais c'est vrai, je suis pas encore allée à la piscine. J'ai toujours eu peur que ce soit une vraie fourmilière. » Un immeuble aussi grand, autant d'habitants, tous assez peu civilisés qui plus est... Je ne m'y suis encore jamais risquée.

Un ricanement grave et chaud s’échappa des lèvres de Harley lorsque Daisy, qui n’était pas un pseudonyme, lui fit remarquer qu’il avait de bons potes quand même. Oui, Legence était un mec très pratique à avoir dans la poche, pas de doutes là dessus.

« Oui j’essaie d’avoir de bonnes relations. C’est important d’avoir du réseau quand ton but c’est de veiller sur la sécurité des gens, c’est comme ça que tu vas de boulots en boulots. »

Plus ou moins disons ; il fallait dire que lorsqu’on commençait à monter en qualité, les sphères du luxes se révélaient ridiculement petites. Il avait ainsi bossé la plupart du temps pour des potes de Leg, de grands magnats des finances et de la mafia, qui pouvait lui donner la mort d’un claquement de doigts en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Heureusement, Harley devait ses cinq ans de taule à un passé plus reculé, et c’était à ce passé judiciaire qu’il devait ce virage serré dans sa carrière.

« Non pour le coup la voiture c’est la mienne. Un petit caprice. Tu l’aimes bien ? »

Qu’elle ne croie pas qu’il ait quelque chose à combler ; on ne montait simplement pas dans une Twingo en étant aussi grand que large.

« C’est ce que tout le monde pense, et comme tout le monde pense ça, il y a finalement peu de monde. Surtout que c’est l’hiver et la piscine a beau être chauffée, les gens n’ont pas très envie de se plonger dans la flotte. Cet été peut-être et encore...Le lac n’est pas si loin et tout le monde préférera prendre l’air. Passe, à l’occasion. »

Il lui adressa un clin d’oeil.

« Qu’est-ce qui t’a amené au Square ? »

Le périphérique prit une bretelle, et la voiture sortit de Chicago.

« Comment t'es passé de garde du corps à maître nageur, du coup ? Enfin tu me diras, tu veilles toujours à la sécurité des gens, sauf qu'à présent ils sont en maillot de bain, quoi. » Il n'y a bien-sûr pas de jugement dans ma voix, je n'estime pas que le second métier soit moins valorisant que le premier, seulement j'ai tendance à laisser s'exprimer ma curiosité, sans filtre. « Tu vis à Chicago depuis longtemps ? »

J'embrasse la voiture d'un regard approbateur. « C'est plutôt agréable, oui. » J'incline la tête dans un sourire amusé. « Disons que ça change de la boîte de conserve qui me sert de voiture, quoi. » Je crois que si ce n'était pas pour Inigo, cette épave sur roues ne fonctionnerait déjà plus depuis des lustres. D'ailleurs il est rare de trouver d'autres personnes avec un lecteur CD, la plupart se contentent du Bluetooth mais je n'ai pas ça dans la mienne et je trimballe moi aussi quelques CD que j'oublie constamment d'actualiser, me retrouvant à écouter les mêmes musiques en boucle. Je glisse une mixtape pop dans le lecteur.

Je lève les yeux vers lui, mords un sourire. « Je passerai. » C'est presque une promesse, bien que je ne le formule pas ainsi. « Je suis partie de la coloc' où j'étais parce que le proprio voulait récupérer l'appart'. Et j'ai trouvé le foyer du septième, tu dois connaître. » Soeur Timothée passe difficilement inaperçue.

-C'est exactement ça.

En fait il n'avait pas tout à fait arrêté d'être garde du corps ; il s'occupait toujours de cette tâche quand la nuit venait et que de gros clients faisaient rentrer des contrats dans ses horaires de journée ou le dimanche (surtout le dimanche parce que les riches avaient toujours des besoins incongrus aux pires moments c'était dingue).

-En fait j'ai eu besoin de quelque chose de plus simple. Tu sais quand on est garde du corps pour des gens fortunés c'est une totale autre dimension. Tu vis pas dans le même univers. Il se passe des choses dont on a même pas idée parce qu'elles traitent avec des trucs…Tu sais des trucs de la haute. Un peu comme des tempêtes dont on sentira rien parce qu'elles ont lieu trop haut dans la stratosphère. J'ai eu envie de plus simple. De plus routinier. Et en fait j'ai jamais autant bossé que depuis que je suis au Square. Du coup je suis arrivé là, tout récemment. Ça fait quelques mois et tu vois c'est la première fois que je passe autant de temps quelque part.

Il lâcha un rire à propos de la voiture de la jeune femme.

-C'est très bien aussi une petite voiture, tant qu'elle roule.

Il s'engagea sur une route de campagne qui entendait ses bras de nature à perte de vue. La route était étroite et le soleil commençait franchement à décliner, donnant l'impression de sa lueur orange, s'enflammer la terre.

-Je connais vaguement oui. C'est une organisation réservée aux femmes c'est ça ? Normal que j'en entende pas parler davantage.

C'était pas plus mal ; Harley avait des idées très arrêtées sur des questions qui faisaient monter au créneau les gonzesses de cette asso. Il espérait toutefois que ça ne mettrait pas en péril la soirée qu'ils allaient passer.
À priori ils étaient là pour baiser, pas pour devenir potes.

-Je crois que nous arrivons Mademoiselle Lollipop.

Je hoche la tête, comme si je comprenais alors que c'est en réalité un monde qui m'échappe totalement. Je ne peux pourtant pas prétendre avoir été élevée dans un environnement banal. J'ai été habituée aux tournées aux quatre coins des Etats-Unis, mais c'était plus une vie bohème ou rock'n'roll qu'une vie dans les sphères du luxe. Mon père n'a jamais eu de garde du corps, en-dehors des types embauchés pour faire la sécurité lors des concerts j'entends. « J'imagine que c'est un tout autre monde, oui... » J'esquisse un sourire. « C'est marrant moi non plus je tiens pas en place d'ordinaire, doit y avoir un truc au Square qui nous retiens. »

Je plisse les lèvres en une moue dubitative. « Mmh, elle fait l'affaire, mais tu vois je suis pas sûre que tu rentres dedans. » J'exagère à peine, il avoisine très franchement les deux mètres, j'ai un mal fou à l'imaginer se contorsionner pour rentrer dans ma voiture.

Je ne réponds pas autrement que par un bref hochement de têtes quand il me demande ce qu'est le foyer pour femmes du septième, à mes yeux c'est plus une colocation voire une famille qu'autre chose. Mais à cet instant précis, j'ai autre chose en tête. Nous arrivons, dit-il, et moi je trépigne d'impatience à l'idée de découvrir les lieux. Il est tout de même question d'un jacuzzi et d'une cheminée, vous comprenez ? « Ok je te préviens, j'attends un tour complet du propriétaire. »

« On rentre partout, avec un peu de douceur et beaucoup de patience. »

Ce n’était qu’à moitié vrai, mais les circonstances faisaient que la remarque, qui faisait plus office de plaisanterie dragueuse, était intimement dirigée vers la jeune femme à ses côtés, qu’il observait du coin de l’œil depuis le début du trajet. Il avait dans sa longue vie partagé des étreintes avec beaucoup de personnes de plus petit gabarit que lui, ce qui n’était pas dur, et même si c’étaient surtout des hommes, il savait trouver son compte avec les femmes. Il suffisait juste d’être imaginatif...enfin.
Il ne l’était pas, mais c’était un homme pourvu d’une grande volonté.

Naperville était une commune de la métropole de Chicago. Si elle n’était que la quatrième ville la plus peuplée de l’État, elle s’élevait sans peine à plus de cent mille habitants, ce qui en faisait un patelin respectable sans l’effervescence mondiale de la ville qu’ils venaient de quitter. Harley garda le Rover devant un petit hôtel sans prétention en bordure de la ville, là où les immeubles devenaient des maisons, les avenues des jardins et les boulevards des forêts. Il avait du mal à croire que Legence se rendait dans un coin si cosy, mais se doutait surtout qu’il y envoyait ses clients...ou ses futures proies.
Enfin bon, dans l’état actuel des choses, il lui devait un service, et Harley l’utilisait, ça s’arrêtait là.

« Il y a ce que tu m’as demandé, promis. » Il lui adressa un sourire en serrant le frein à main. « Sinon on fait un scandale. »

L’hôtel n’en avait que le nom : c’était une très grande maison sur plusieurs étages nichée dans une bordure de forêt. Quand il descendit de la voiture, Harley se trouva pour la première fois debout à côté de Daisy.

« Tu es vraiment petite. » fit-il remarquer dans un rire.

Et lui était vraiment grand. Il hésita puis lui présenta sa main.

« Si mademoiselle veut bien me suivre ? »

Il la guida jusqu’au rez de chaussée des lieux où ils furent accueillis par un hôte sans âge auquel Harley donna le nom d’Ellroy. Quelques instants plus tard, ils purent disparaître dans l’ascenseur armés d’une clé.

« C’est très cliché. » ricana Harley.

Le sous-entendu graveleux ne m'échappe pas, pas du tout, et je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire, léger. Non seulement je suis bon public, mais en plus je ne sais pas faire semblant, tenter de garder la face ce n'est pas exactement mon truc, je suis trop entière pour ça. Il aurait sans doute fallu que je darde sur lui un regard ténébreux en susurrant quelque chose comme « Oh oui je n'en doute pas. » Mais non, ça ne sort pas. Au lieu de ça, je lâche dans un sourire amusé. « On sent le connaisseur. » Well done Daisy.

Je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où nous allions. Je ne savais pas si son ami lui avait, par exemple, filé les clés d'un chalet, genre résidence secondaire à moins d'une heure de Chicago, ou celles de la villa de luxe d'un de ses anciens clients. J'imagine en effet que lorsqu'on a les relations d'Harley, on entre parfois dans de sacrées baraques. Mais c'est curieusement un hôtel que je découvre, et je ne sais pas pourquoi, je ne m'y attendais pas. « Mh, je suis persuadée que personne n'a envie de voir un type de ton gabarit taper un scandale. » Il a la voix délicieusement rauque et le sourire doux qui mettent en confiance, mais je pense que s'il cesse soudain de sourire pour se mettre en colère, c'est une toute autre histoire.

Ma main glisse dans la sienne et j'esquisse un sourire tandis que nous nous engouffrons dans l'ascenseur. « J'ai demandé un jacuzzi devant une cheminée. De base, c'est très cliché. Mais promis, si tu trouves ça plaisant malgré tout, ça restera entre nous. »

« Je t’avoue que je ne suis jamais allé dans un hôtel qui combinait ces deux éléments, à vrai dire je ne vais jamais à l’hôtel. Donc ce sera une découverte. »

Il qualifia la main de la jeune femme d’une légère pression qui indiquait qu’il lui faisait confiance. En effet Harley, étant donné son métier récent, ne fréquentait plus les hôtels ; il avait fait ça pendant des années pour accompagner ses employeurs fortunés et désormais se contentait en mission de dormir dans la bagnole ou le quelconque véhicule que Legence lui donnait à conduire. Il fallait être prêt à la seconde si une attaque devait survenir et c’était pas lové au chaud dans des draps qu’on le faisait.

L’ascenseur tinta pour indiquer qu’ils étaient enfin parvenus à destination. Ca commençait à faire un petit bout de temps qu’ils avaient quitté le Square pour ce rendez-vous et Harley espérait que Daisy ne se laissait pas de leur rencontre ; il était heureux de rentrer enfin la clé dans la serrure de la chambre.

« Mademoiselle, je vous prie. »

Il poussa la porte pour la laisser entrer, et referma derrière eux. Il fut le premier des deux à actionner l’interrupteur sur une suite dans le salon de laquelle ils venaient de rentrer. Une baie vitrée donnait sur le crépuscule mourant. Le centre de la pièce était effectivement dominé par un bassin qui s’enfonçait dans le sol en froufroutant, cerné de pétales de rose, tandis que qu’à quelques mètres de là, ronflait une cheminée.

« Eh béh. » commenta Harley en déposant son sac sur le sol.

« Pour moi aussi... »

J'ai eu l'occasion, durant ma jeunesse, d'aller à l'hôtel très, très régulièrement. En réalité, chaque fois que je suivais mon père et son groupe en tournée. Mais il faut se rendre à l'évidence, c'était pas U2, quoi, on créchait plutôt dans des auberges de jeunesse ou des petits motels en bordure d'autoroute, quand on ne dormait pas directement dans le bus. Autant dire que ni le jacuzzi, ni la cheminée n'étaient en option. Depuis que je suis partie vivre de mon côté, et entre autres depuis que mon père est décédé, je ne crois pas être un jour réellement retournée à l'hôtel...

Et la chambre que nous découvrons est bien au-delà de tout ce que j'aurais pu imaginer. Elle est bien plus luxueuse, mais aussi bien plus kitsch, on croirait qu'elle a été préparée pour la nuit de noces d'un jeune couple, et ça me fait franchement sourire. D'ailleurs, j'observe Harley du coin de l'œil, juste pour m'assurer qu'il ne prenne pas la fuite, pris d'une soudaine bouffée d'angoisse à l'idée de couvrir une parfaite inconnue de pétales de roses !

« Ouais, comme tu dis... » Soufflé-je, ébahie. Bordel, c'est magnifique. Je me tourne vers lui, un sourire mutin vissé aux lèvres. « Je crois que le jacuzzi nous appelle, clairement, et que ce serait une insulte de le faire attendre. »

« Nous sommes bien d’accord mademoiselle. »

Il retira ses pompes et déposa sa montre et son téléphone sur le bord d’un meuble proche. Il attendit que Daisy fasse de même avec ce qui semblait risqué, et sans plus attendre, la saisit par les hanches pour la faire passer par dessus son épaule comme un sac à patates.

« C’est partiiii ! »

Il traversa la pièce avec la jeune femme sur son épaule et fonça dans l’immense jacuzzi qui trônait au centre de la pièce. Il n’y sauta pas, eut égard à la profondeur du dispositif, mais il laissa tomber la jeune femme dans une série d’éclaboussures mousseuses qui se développèrent en corolle tout autour du bassin et firent crépiter les flammes dans l’âtre de la cheminée. Ses propres vêtements se gorgèrent de flotte, moulèrent ses muscles et les courbes de Daisy, qu’il finit par lâcher dans un rire avant de s’accouder au bord du bassin.

« J’ai toujours rêvé de faire ça. »

Puisqu'il entreprend de se débarrasser de ses affaires, je fais de même, à peu près persuadée que nous allons chacun prendre le temps de nous déshabiller. Je ne le connais pas, je ne devine pas qu'il est joueur, ou peut-être ne suis-je pas assez attentive à la lueur mutine dans son regard. Le fait est que j'ai tout juste le temps de me débarrasser de mon sac à main et de ce qui se trouve dans mes poches avant qu'il me soulève du sol. La sensation, surprenante, m'arrache un couinement de surprise, tant parce que je devine ses intentions que parce que j'ai soudain l'impression que je pourrais presque avoir le vertige. Comprenez-moi, il est foutrement grand !

L'eau, délicieusement brûlante, du jacuzzi, m'enveloppe soudain, et j'émerge dans un rire, secouant la tête pour chasser les gouttes qui s'accrochent à mes cils. « Tu as toujours rêvé de balancer une inconnue toute habillée dans un jacuzzi ? » Un sourire amusé étire mes lèvres, et je me coule dans sa direction, pour poser mes mains sur ses épaules. Il s'est permis de me jeter à l'eau, je crois que je peux me permettre de le toucher un peu plus franchement, maintenant. « Tu m'aides à me débarrasser de mes fringues ? »

« Eh bien... » commença Harley, interrompu par le geste de se séparer de Daisy avec précaution comme si elle pouvait ne pas avoir pieds dans le jacuzzi. « Oui, je crois. Le rêve est réalité maintenant, n’est-ce pas fantastique ? »

La chaleur l’enveloppa à son tour tant et si bien que de sa peau s’élevaient des volutes de vapeur, comme à la surface de l’eau autour d’eux qui glougloutait tranquillement, donnant l’impression qu’un petit volcan avait été installé au centre de la pièce. Lorsque Daisy se rapprocha de lui, il accepta volontiers son contact alors que les paumes de ses mains sur ses grandes épaules venaient appuyer un peu plus la succion des fibres de ses vêtements qui, trempés, épousaient la forme de ses muscles gonflés.

« Mais volontiers. »

Il dégagea d’un doigt quelques cheveux qui s’étaient collés aux joues de la jeune femme comme des tentacules, et plongea ses mains sous l’eau vibrante. Comme elle portait des vêtements gorgés d’eau, il lui fallut, pour en chercher les ourlets, épouser sans pudeur la forme de ses flancs. Il sentit sus ses doigts la rondeur modeste de ses seins, celle, plus franche de ses côtes, et enfin l’arche de sa taille. Quelque part au dessus de sa ceinture il put enfin saisir le bas de son tee-shirt afin de pouvoir le lui retirer, lentement, dans un ruban d’eau, comme s’il s’était agi d’une seconde peau. Il récupéra une boule de tissu détrempée qu’il abandonna sur le bord du bassin dans un bruit mat.

« Pas trop froid ? » plaisanta-t-il.

High Rise

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