High Rise

Une calebasse à maté ancrée dans la paume, je termine un obscur bouquin trouvé dans la cabane à livres sur le toit en cette très belle journée de Mars. Le printemps n’est pas loin et on peut de nouveau lire dehors sur un banc, un petit plaisir simple que je ne prenais plus le temps de m’octroyer ces derniers temps avec tout le boulot que j’avais. Bon visiblement, ce bouquin n’est pas un trésor. L’histoire tourne en rond et il n’avait de joli que le titre et la couverture. Je tourne quelques pages pour me rendre compte que les dernières ont été arrachées sans doute pour se torcher le cul après avoir fait son affaire derrière la fameuse cabane.
Bon, je saurai pas le fin mot de l’histoire, j’aurai plus qu’à l’imaginer. Dommage.

La suite de l’histoire s’écrit avec des aboiements. Je relève la tête pour voir soudain sauter dans ma direction un gros chien blanc toute langue dehors et des étoiles pétillants dans ses yeux sombres. La Samoyède est suivie par un mec qui semble être son maître et dont le petit minois ne m’est pas étranger.

« Ooooooh sobrino c’est toi ? Si j’avais su que je te retrouverais dans le coin ? Qu’est-ce que tu fais là ? »

J’avale une gorgée de maté qui tout d’un coup a une saveur délicatement gorgée de soleil. Je retrouve décidément bien du monde dans le coin.

Inigo avait vaguement envie de gueuler contre un de ses colocs, qui lui avait demandé la bouche en cœur d'aller chercher s'il te plaît Ini un arrosoir sur le toit on a perdu le nôtre et les pieds de beuh ont soif.
Ouais cet abruti faisait pousser dans l'appart, ce qui faisait que la salle de bain du 308 (pas celle d'Inigo fort heureusement) empestait genre Jamaïque, mais à fond, et avec la coupure de courant, le peu d'énergie qu'ils parvenaient à collecter dans l'appart, c'était les plantes qui en profitaient. Il avait besoin de sortir Alteza de toute manière, et marre de rester enfermé. Certes il s'était assez mal remis du kidnapping de février, mais c'était pas une raison pour se laisser crever dans sa piaule.
Il déboucha sur le toit de son pas délié et silencieux, alors que sa chienne galopait en tête ; elle adorait ce toit, et les gens qui y traînaient :

« Alteza, reviens ici », claqua-t-il des doigts avant d'aviser en même temps que le type qu'ils se connaissaient.

Il eut du mal à le remettre maintenant qu'il ne portait plus une minijupe rose d'un goût douteux, mais esquissa un sourire à l'intention de Sly. Le type était relié dans les souvenirs d'Inigo à beaucoup de choses très floues ; Alex, un road-trip interminable et brûlant, des soirées trop arrosées et des dragqueens avec lesquelles Ini avait jamais su comment se comporter.

« Salut tío. Je bosse dans le garage sur Chic Avenue. Et toi ? J'croyais que t'étais à … Slab city ? »

Il se pencha pour embrasser Sly sur les joues, moins chat sauvage quand il s'agissait de sa famille.

« Ou c'était l'Indonésie ? J'ai toujours du mal à suivre », il eut un rire doux à l'oreille alors qu'Alteza se présentait toute seule avec un sourire de Samoyède, fourrant sa truffe sous les mains de Sly.

L’Altesse blanche fourre son nez humide dans mes mains, et comme ce n’est pas le truc baveux le plus dégueulasse que j’ai eu au creux des paumes, je la caresse avec force détermination et allégresse. J’ai toujours aimé les animaux, mais il n’y a vraiment que les hippies d’un autre temps qui se baladent en voyage au bout du monde avec leur bestiole. Mon perroquet a été laissé à Sam-Sam après mon départ du Parking, et je n’ai plus repris d’animaux depuis, surtout pas dans les Balkans où ils avaient mille raisons de se faire tuer, bouffer, écarteler, arracher leur peau…ce genre de choses très réjouissantes finalement.

Je redresse finalement le regard en direction d’Inigo qui me masque le soleil de sa silhouette sèche jusqu’aux baisers qu’il claque sur mes jours.

« Tu es finalement sorti du Mexique, ça alors ? Ils t’ont laissé sortir du pays ? Je parle de ta mère et des forces de l’ordre, mais quand on connaît les deux ça se rapproche un peu n’est-ce pas ? »

Je ricane, fier de ma blague douteuse sur ma sœur, avale une nouvelle gorgée de maté.

« J’ai pas encore visité l’Indonésie. A l’époque ça devait être Slab effectivement. Je suis parti dans les Balkans peu de temps après...Ah non j’étais déjà revenu en Amérique et au Mexique. Bref, maintenant je suis là. Tu te souviens de Reina ? On habite au 39e. »

Je décale le bouquin qui n’a désormais plus d’importance pour indiquer à Inigo qu’il peut s’asseoir.

« Alors, tu es toujours avec le grand blond ? »