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Levine Zelman
Levine Zelman
You want it darker ?
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Date d'inscription : 02/01/2021
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Occupation : Alcoolique à temps plein et graffeuse. Accessoirement barmaid incompétente se rêvant artiste.
Statut Civil : Célibataire, une rupture récente et douloureuse coincée dans la gorge.

La nuit n'attrape jamais froid. | Levine Empty La nuit n'attrape jamais froid. | Levine

Dim 2 Mai - 12:05
Il doit rester quelques rêves d'enfant cachés sous mon oreiller.
Je tenterai de ne pas les écraser avec ma tête lourde de soucis d'adulte.




Levine Zelman

Mon essentiel
âge 26 ans // statut familial et civil Célibataire // occupation Piètre barmaid dans le club de sa Famille, à défaut de pouvoir faire quoi que ce soit d'autre. Elle se rêve artiste depuis toujours. Certaines de ses pièces commencent à se faire remarquer sur les murs de Chicago, mais ce sont surtout les condés qui voient ses traces quand elle graffe en vandale sous le blase de Löwe. // dans la ville de puis Toujours. // groupe Baggy // thème musical Song to say goodbye - Placebo // pourquoi avoir emménagé ici, et depuis quand ? Elle s'était offert le luxe d'un petit appartement sans doute trop cher pour elle au neuvième étage du Square, avant que la tour ne s'effondre, broyant ses espoirs et tout ce qu'elle possédait. Après être retournée chez son Vieux un temps, c'est au Septième Ciel qu'elle a trouvé refuge à la réouverture de l'immeuble, en attendant la fin des travaux dans une petite ruine au nord de la ville dans laquelle elle compte bien s'installer, un jour. //  quelle est la rumeur qu'on entend le plus sur toi ? qu'elle s'est sentie obligée de se couvrir d'encre pour se rendre un peu intéressante. Parce qu'avec sa gueule et son absence de formes, elle était plutôt mal barrée. // as-tu payé ton loyer ? Demandez à Sœur Timothée. //

Deux ou trois choses que tu sais de moi
☽ Levine est née fantôme, inexistante aux yeux du pays et de la loi. On se battrait bien des années plus tard pour lui obtenir un acte de naissance dont elle ne verrait jamais la couleur. Sa date d'anniversaire est celle du jour où elle s'est retrouvée dans les pattes de Zev. Sa carte d'identité, elle, a été constituée de toutes pièces par quelque faussaire.
☽ Elle n'a pas le permis mais sait parfaitement conduire une voiture comme une moto. Elle se déplace cependant plutôt en skateboard ou à pieds.
☽ Levine n'a jamais connu l'identité de ses parents et ignore qui est réellement Zev par rapport à elle. Elle lui a demandé, enfant, s'ils étaient liés par le sang, mais son Vieux ne lui a pas répondu. Il s'est contenté d'avoir l'air triste. Elle a tant détesté cette lueur dans son regard qu'elle n'a plus jamais reposé la question.
☽ Elle se perce seule, dans l'intimité de son appartement, se lasse facilement, change quinze fois d'idées quant à ses bijoux, laisse se refermer certains trous pour les refaire deux semaines plus tard.
☽ Elle a été élevée dans une famille juive orthodoxe qui ne pratique presque plus et dont la croyance s'étiole, mais qui juge somme toute selon les préceptes de son culte lorsque ça l'arrange.
☽ Elle a commencé le tabac très tôt et ne s'est pas arrêtée depuis. Levine a tendance à oublier qu'il est interdit de fumer à l'intérieur et se voit donc régulièrement contrainte d'éteindre des cigarettes à peine allumées.
☽ Elle a une voix rayée, comme celle d'un vieux vinyle trop de fois écouté. Une voix râpeuse, qui donne l'impression d'avoir été trop longtemps oubliée dans un fût de bourbon puis abandonnée dans un fumoir durant des années.
☽ Elle se dit bisexuelle mais n'entretient de relations sentimentales qu'avec des femmes. Ses relations avec ses petites amies ont toujours été courtes et chaotiques, ruinées par sa peur viscérale de l'intimité et son incapacité à communiquer. Sa dernière rupture, particulièrement déchirante, lui reste toujours en travers de la gorge, qu'importe les litres d'alcool qu'elle ingurgite en espérant la faire descendre.
☽ Elle ne supporte plus le regard des hommes et ne parvient à tolérer leurs caresses que lorsque l'alcool inonde son sang. Mais elle se sent sale au matin, quand vient le temps de quitter leurs draps, l'esprit encore embué d'éthanol.
☽ Levine collectionne les badges des Alcooliques Anonymes, elle a une boîte pleine de jetons d’un mois de sobriété. Elle n’a jamais réussi à aller au-delà.
☽ Elle a appris l'ukrainien bien avant l'anglais. Lev le parle toujours lorsqu'elle est avec son Vieux ou d'autres membres de la Famille, notamment au travail.
☽ Elle dégage constamment une impression de froid, comme si elle était éteinte, vide. Elle reste pourtant bien vivante sous sa peau tatouée, sous son air défait. Mais les gens s'en rendent difficilement compte.
☽ Elle n'a jamais osé quitter l'État, sa cage la retenant dans cette ville. Mais elle rêve d'ailleurs, de voyages et de découvertes, de nouvelles frontières et de liberté.
☽ Levine ne s'aime pas. Elle hait son nez trop long, son corps trop maigre, son absence de formes, sa petite taille, sa peau trop blanche qui brûle au soleil. Elle a toujours détesté le reflet que lui renvoie le miroir.

Taciturne - Brisée - Alcoolique - Violente - Complexée - Impulsive - Maladroite - Écorchée - Caractérielle - Sensible - Manque de confiance en elle - Artiste - Passionnée - Nostalgique - Rêveuse - Défaitiste - Franche - Créative - Loyale - Maline - Débrouillarde.

Sinon, moi c'est Caligari
comment tu nous as trouvés ? J'étais là, Gandalf. J'étais là il y a 3000 ans ... // tu nous aimes bien ? meh ? // inventé ? scénario ? pré-lien ? Inventé // Avatar choisi Noémie Doragon //crédit des icons Caligari
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Occupation : Alcoolique à temps plein et graffeuse. Accessoirement barmaid incompétente se rêvant artiste.
Statut Civil : Célibataire, une rupture récente et douloureuse coincée dans la gorge.

La nuit n'attrape jamais froid. | Levine Empty Re: La nuit n'attrape jamais froid. | Levine

Dim 2 Mai - 12:05


Je boirai ma vie jusqu'à la lie.


La nuit n'attrape jamais froid. | Levine 5mZP122


Chapitre premier.
J’ai toujours détesté les couvre-chefs.

Ils me renvoient étrangement à une époque révolue, un paradis perdu qui met mal à l’aise jusqu’à inspirer la nausée et crever le cœur. J’avais dû y laisser le mien un jour ou l’autre, mais j’aurais été bien incapable de me souvenir quand avec exactitude.
Les souvenirs de mon enfance ont quelque chose de beau et de triste, ils me paraissent plus doux qu’ils ne le sont réellement. Je n’étais pas une gamine malheureuse, et ce serait mentir que de dire que j’avais conscience, à l’époque, du joyeux bordel dans lequel j’évoluais. Bordel, le mot est idéal. Bordel. Les drames, la haine, les trahisons et les rancœurs, je les voyais sans m’en rendre compte. On n’a pas le recul nécessaire, tout petit, pour saisir ces choses-là. Je n’étais qu’une fillette muette qui traînait dans les pattes des adultes. Dans celles de Zev, plus exactement.

Zev, c’est un gars très grand, un peu bourru, avec un air rêche et un nez aux angles peu communs à force d’avoir été brisé. Il avait toujours été vieux, même quand j’étais gosse ; il avait dans le regard une lueur terne, de celles qu’ont les hommes qui en ont trop vu, trop fait, et qui vous fait froid dans le dos, dans l’âme. Sa langue traînait un accent insupportable, tout droit venu de son Ukraine natale dont il parlait parfois, une nostalgie dans la voix.
C’était un homme d’action plus que de paroles, peut-être parce qu’il ne parvenait pas à aligner plus de cinq phrases en anglais sans achopper, les mots de son vocabulaire s’entrechoquant constamment avec fracas. Il aimait le silence et la solitude. Il avait d’ailleurs longtemps été seul. Puis du jour au lendemain, j’étais avec lui. Il ne dirait jamais pourquoi, ni comment j’avais fini sous son aile, mais je m'étais trouvée là : à m’accrocher à ses grandes mains par peur de tomber. À l’époque, je passais tant de temps le nez en l’air que je finissais irrémédiablement par me l’écraser sur le plancher des vaches. Ça le faisait bien rire, Zev. Il riait aux éclats, dans un rire de tonnerre qui secouait ses épaules et les murs, et m’impressionnait.

Il n’avait jamais eu en tête d’élever une gosse, moins encore dans un monde comme le sien. Mon Vieux, c’était un homme bien, un homme d’honneur qui aurait tout donné pour un frère, quand bien même il n’avait pas son sang. Il avait rencontré le sien quand il n’était encore qu’un gamin à peine plus haut que trois pommes : Zardi. Le sourire carnassier, les mots beaux, l’air charmeur, les cheveux toujours peignés et le costume impeccable. Zardi Zinoviev était un diable aux idées dantesques. Il avait eu, tout jeune, des envies de grandeur, de puissance, de rêve américain et de pouvoir, qui l’avaient conduit jusqu'à Chicago. Il avait traîné avec lui quelques hommes de main, des filles, son talent pour les affaires, et Zev.

J’ai grandi dans les coulisses d’un club d’effeuillage qui masquait les crimes de ma Famille, au pied des scènes où les danseuses se dénudaient, sur le tapis persan riche de détails du petit bureau de Zev où je dessinais sans prêter attention aux conversations qui se faisaient autour de moi. Souvent, quand les adultes devaient parler de sujets sérieux, mon Vieux remballait mes crayons de couleurs, m’attrapait par la main et allait me confier à Mag. Qu’elle soit sur le point d’entrer sur scène ou non, elle arrêtait ce qu’elle faisait, me mettait un chapeau sur la tête, et m’emmenait manger une douceur. Bonnet-qui-gratte-gaufre en hiver, casquette-trop-grande-glace en été. J’ai toujours détesté les couvre-chefs.  

Magdalena – mais tout le monde l’appelait Mag – était trop belle pour être de ce monde. J’espérais être comme elle plus tard : grande et pulpeuse, les yeux clairs, le sourire doux et le rire magnifique, le visage lisse, le nez fin. J’ignorais alors qu’elle avait dû le faire refaire deux fois pour effacer les coups que certains hommes avaient cru bon lui asséner.
Mag, elle dansait pour les autres parce qu’elle n’avait plus suffisamment de foi pour danser pour elle seule. Parfois, elle trempait son pinceau dans son pot de couleur chair et le passait sur les marques bleues et rouges qui hantaient son corps jusqu’à ce qu’elles disparaissent. Elle peignait un sourire carmin sur son visage, joignait ses lèvres pour que la teinte prenne et essuyait les larmes qui traçait des sillons sur ses joues. Elle se levait, m’attrapait doucement pour me faire descendre de sa coiffeuse, enfilait ses talons hauts et me congédiait. Il m’arrivait, de temps à autres, de me cacher pour la regarder exprimer son art. Elle était belle, Mag, avec ses tenues légères et ses yeux tristes. Elle fendait chaque fois mon cœur de gamine, sans que je ne comprenne réellement pourquoi.

Zev adorait son sourire. S’il avait pu tout foutre en l’air et nous embarquer, juste elle et moi, il l’aurait fait. On aurait filé vers d’autres horizons, avec le soleil couchant comme écran de télévision. Je crois bien qu’il l’aimait. Mais les filles comme Mag, personne n’avait le droit d’en être amoureux. J’apprendrais bien plus tard qu’on ne pouvait s’enticher d’une pute, parce qu’elle finissait toujours par vous crever le cœur.
Mag, elle n’avait jamais voulu causer de peine à mon Vieux. Elle n’avait pas prévu qu’il se retrouverait comme un con, à chialer tel un marmot, sérieux et vulnérable dans ses vêtements noirs. Et moi, toute gamine, je pendais à sa main sans rien comprendre, me disant qu’il était bien triste, le tableau de pierre grise sur lequel figurait le nom de la danseuse.

Bien des années plus tard, mes marqueurs et moi viendrions l’égayer un peu. Mag avait toujours aimé mes dessins.



La nuit n'attrape jamais froid. | Levine WVQAqxM


Chapitre deux.
Je n'étais pas une gamine facile.


À dire vrai, j’ai donné des kilomètres de fil à retordre aux membres de la Famille. Mais si quelqu’un avait quelque chose à redire de mon comportement, c’était Zev qu’on allait voir, et c’était lui qui déterminait la force qu’il allait foutre dans la claque qu’il me collerait. Personne n’avait le droit de me toucher si ce n’était mon Vieux. J’étais sa môme, sa responsabilité après tout. Je prenais mes raclées sans broncher, en réfrénant les larmes qui menaçaient de couler pour ne pas qu’on se rende compte de la gosse fragile que j’étais. Je ne me serais pour autant jamais plainte, sans doute parce que je n’étais pas bien bavarde à l’époque. J’ai refusé de parler durant de nombreuses années, parce que Mag m’avait toujours dit qu’il valait mieux se taire quand on n’avait rien d’intéressant à dire. Quand j’ai finalement décidé de l’ouvrir, ç’avait été pour prononcer des insultes en ukrainien que Zev s’était empressé de me faire ravaler d’un aller-retour bien placé. Ma gueule, je l’avais fermée davantage encore suite à ça.

Je n’étais pas une gamine facile, mais j’avais l’intelligence de travailler correctement à l’école pour ne pas que l’institutrice s’inquiète de mon silence. Je me faisais discrète pour éviter les regards dans la cour de récréation, trop, en réalité, pour passer réellement inaperçue. De mon nom de garçon à ma volonté crevante de me fondre aux ombres, de mon refus obstiné de causer à mon incapacité de justifier l'absence de parents, j’avais toutes les raisons du monde de ne pas être oubliée. Je me suis battue plus de fois que je ne pourrais le compter pour espérer une once du respect que je ne m’accordais pas moi-même. Mais mes petits poings faibles et maigrelets ne me permettaient pas d’asseoir mon opinion comme je l’entendais. J’ai passé plus de temps le cul vissé à une chaise en retenue qu’à me faire apprécier de mes camarades.

Mon adolescence, ça avait été les bombes. Pas celles qui éclataient à la gueule des gens – quoique j’ai éclaté quelques gueules avec –, mais celles qui laissaient des traces de peinture sur les doigts à force de les user. Je m'en servais en permanence, du soir au matin et inversement, signant mes vandalismes d’un blase qui ne me lâcherait plus : Löwe. On m’entendait arriver de loin, les cannettes tintinnabulant les unes contre les autres dans le sac à dos que je ne quittais pour rien au monde. J’avais un style bancal vu mon âge et un manque cruel d'expérience, mais l’art de repeindre les murs les plus inattendus et aucune peur pour me clouer au sol. J’étais la seule fille du petit crew de graffeurs que je venais de rejoindre. C’était des artistes, des rappeurs, des skateurs, des vandales, des sales gosses, des gars bien, de vrais frères. On venait d'horizons différents mais on avait les mêmes passions, la même lueur dans le regard. Ça suffisait à éclater les barrières et les préjugés pour nous laisser comme culs et chemises. Je passais mon temps avec eux, m’écorchais les genoux en tombant de ma planche, riais aux éclats et attrapais la bière ou la cigarette qu’on me tendait vaillamment. Je ne craignais rien ni personne, si ce n’était de décevoir ma Famille.

J’avais beau être la gosse de Zev, je n’échappais pas aux corvées attendues des petites-mains et petites-frappes qui œuvraient pour le bien commun. Sur l'échiquier du dieu-Zinoviev, je n’étais qu’un pion ridicule, bringuebalé d’une case à une autre : tantôt voleuse, tantôt espionne, parfois informatrice, plus généralement coursière. Mes membres longs et maigres me permettaient de courir rapidement, de remettre une lettre pleine d'argent ou un paquet en vitesse puis de m’évaporer dans la nature, comme je savais déjà si bien le faire lorsqu’il était question de fuir la police en emportant mes bombes de peinture avec moi. Personne ne soupçonnait la gamine que j'étais ; je faisais mon travail correctement, sans moufter. Mon Vieux et le Diable n’avaient rien à y redire.

Mais quand on était jeune comme moi, on était un peu conne. Je ne l’ouvrais pas souvent, et je regretterais un long moment de n’avoir su la fermer quand il aurait fallu se taire. J’étais rentrée en me traînant, un soir, ma fierté juvénile m’empêchant de ramper, mon colis volé. J’avais honte, mal et froid, j’avais la rage, l’envie de me réfugier dans ma piaule sans qu’on ne fasse attention à ma carcasse éclatée. J’avais été servie niveau silence. Pas que les conversations s’étaient tues en me voyant entrer, plutôt que les lieux étaient déserts. Pas âme qui vive, si ce n’était pour Zardi et Zev. Mais le premier avait vendu son âme il y avait bien des années, et mon Vieux avait enterré la sienne quand on avait mis Mag en bière. En fin de compte, il ne restait que la mienne, meurtrie, qui se recroquevillait dans un coin de mon corps tant elle se décomposait.
Zardi m’avait jaugée sérieusement, avec sa tenue impeccable et ses cheveux fraîchement coupés. Il puait le parfum haut-de-gamme et la colère réfrénée, celle-là même que tout le monde essayait d’éviter mais qui finissait inexorablement par éclater quand on s’y attendait le moins. Il n’avait pas beuglé, Zardi, pas même haussé le ton. Il m’avait regardée droit dans les yeux, transpercé mon être de part en part, attrapé mon âme à la gorge. Et il m’avait susurré, avec sa voix de serpent, qu’il s’assurerait que je ne puisse plus parler du tout la prochaine fois que l’idée de perdre quelque chose qui lui appartenait me traverserait l’esprit. Zev n’avait rien dit. Zev, qui me défendait habituellement bec et ongles, qui interdisait quiconque de lever la main sur moi, qui m’avait collé toutes les raclées que les autres avaient voulu me mettre, … Zev était resté silencieux. Zev, s’il m’aimait, restait fidèle au Diable avant tout.



La nuit n'attrape jamais froid. | Levine C43UDrW


Chapitre trois.
J'étais une adolescente insolente.


Une jeune femme en devenir, une gosse qui se cherchait, qui tentait désespérément de se trouver une identité, qui prenait plus de plaisir à fricoter avec les garçons en soirées qu’à se concentrer sur ses notes en chute libre. Seize ans, c’était le bel âge, celui où on m’apprenait à conduire quand bien même mon statut de fantôme ne me le permettait pas ; où j’apprivoisais la descente d’un litre de bière à une vitesse indécente en coinçant mon épiglotte ; où mes poumons se gorgeaient de goudron et d’herbe ; où mes yeux se perdaient parfois, honteux, sur le décolleté de la petite amie de l’un des membres du crew. J’avais le droit de vivre, d’être jeune et curieuse, décadente, amoureuse un jour et occupée à ramasser les morceaux de mon palpitant en miettes le lendemain. Zev veillait au grain, prenant soin d’intimider les briseurs de cœur qui me tournaient autour sans savoir que le seul dont il aurait fallu me protéger se trouvait sous son nez depuis toujours.

Les statistiques affirment qu’un tiers des victimes d’abus sexuels connaissent leur agresseur. Le mien, il m’avait vue grandir ; il avait applaudi mes spectacles de fin d’année chaque fois que mon Vieux l'y avait traîné de force ; avait soufflé avec moi toutes les bougies de mes nombreux gâteaux ; il avait serré la main de mon premier petit copain quand je l’avais ramené au club pour le présenter à Zev. Mais ça ne l'avait pas empêché de me ruiner pour autant.
J’étais ronde au point de ne plus pouvoir marcher ce soir-là. Je titubais, me rattrapant où je le pouvais pour ne pas me casser le nez. Je m’étais raccrochée au Diable par peur du plancher des vaches, pour qu’il me traîne jusqu’à ma chambre, qu’il me borde comme mon Vieux le faisait autrefois. Mais il s'était contenté de m'allonger sur mon lit, s'était écrasé sur moi. Et il s'était vidé là. Entre mes cuisses tremblantes qui s’étaient ouvertes un peu plus tôt dans la soirée pour profiter de la chaleur du garçon que je voyais à l’époque. Et moi, inconsciente, saoulée, souillée, je n’avais pas pu protester. Pas même pleurer.

Je m’étais réveillée le lendemain, nauséeuse, l’âme boiteuse, l’esprit encore embué d’alcool, incertaine de ce qu'il s'était passé. J'avais sur la peau les souvenirs confus d’un mauvais rêve et dans le cœur l'envie de croire que la crainte viscérale qui me retournait l'estomac n'avait pas lieu d'être. J'aurais laissé mes doutes à cet état d'incertitude si ce n'avait été pour Zev, dont le regard, quand il m’avait vue, avait crié en silence toute la crasse de la vérité que je n'avais pas envie de connaître. Il n’avait rien dit, mon Vieux, et moi, je n’avais posé aucune question pour ne pas rendre les choses plus réelles. Mais il était allé frapper le Diable, parce qu’il avait compris. Ça avait remis certaines choses au point, et ces derniers sur les i.

Je n’ai jamais dit à qui que ce soit ce qui m’était arrivé. On s’était accordé sans se concerter pour taire cette histoire, l’enterrer avec le reste des secrets immondes de la Famille. Je n’ai pourtant jamais pu oublier. Ni le parfum de Zardi, si fort dans mon esprit, qui me revient en mémoire chaque fois qu'un homme pose ses mains sur moi, ni le regard crevant de mon Vieux. Aujourd'hui encore, il m'arrive de me demander si je n'aurais pas préféré douter toute ma vie de ce qu'il s'était passé. J'aurais pu enfouir ma peur de la vérité tout au fond de mon être jusqu'à l'omettre pleinement, me perdre dans la douceur bancale du mensonge et du déni. Mais mon cerveau s'obstinerait à se rappeler. Et le corps que je détestais déjà tant ne se débarrasserait jamais des sensations confuses de cette nuit, quand bien même je tenterais de les effacer en crevant ma peau de piercings ou en la recouvrant d’encre. On ne luttait pas contre un souvenir.

J’avais bien rapidement abandonné les coups de reins masculins pour faire taire ma mémoire et me réfugier dans l’amour des filles. Leurs bras, si doux qu’ils étaient, ne changeaient pourtant rien aux faits. J’y restais par besoin de tendresse sans pour autant parvenir à m’épanouir. Ça avait fait grand bruit dans la Famille quand on avait découvert que la gamine de Zev, celle qui hier encore, se suspendait volontiers au cou des garçons, avait soudainement viré sa cuti pour devenir pédé. Dans le paysage des Zinoviev encore empreint de valeurs conservatrices qu’on bafouait pourtant au quotidien, l’annonce de mon homosexualité avait fait tache. Mais personne n’avait jamais osé ouvrir sa gueule devant moi. Mon Vieux aurait démoli les dents de ceux qui s’en seraient sentis le droit.

Ça n’avait plus été qu’un enchaînement de soirées et de verres de trop, de coups de gueules poussés violemment alors qu’on ne m’avait jamais entendue avant, de bagarres et de nez cassés, de relations brisées comme je l’avais été. Je partais tôt et rentrais tard, évitant comme je le pouvais la chambre de mon enfance et la compagnie du Diable dont le bureau se trouvait un étage plus bas. Je dormais chez mes frères qui me voyaient changer sans rien comprendre, qui me sentaient différente mais n’avaient pas le pouvoir de me ramener à celle que j’avais été. Je passais des heures à griffonner des calepins entiers, graffer des bâches qu’on détruisait, griffer les murs de la ville, faire graver mes dessins dans le derme des copains. J’inscrivais mon blase sur toutes les surfaces, sur les tables du lycée où j’oubliais fréquemment de me présenter, sur les murs des toilettes qui voyaient souvent de près ma mine défaite, sur les sujets d’examens que je rendais blancs si ce n’était pour ces quatre lettres. Mes dernières années de secondaire, je les ai passées à me rattraper in extremis. Je n’ai jamais su par quel miracle j’ai obtenu mon diplôme.



La nuit n'attrape jamais froid. | Levine DGuwUuL


Chapitre quatre.
Je n'ai pas fait d'études.

Ça n’avait pas franchement surpris grand monde de me voir abandonner une bataille perdue d’avance. Je n’avais pas les armes pour affronter le supérieur, encore moins les épaules ou la carrure. J’avais bousillé mes chances d’entrer dans une belle école au moins autant que mon foie. Aucun établissement ne se serait intéressé au dossier d’une gosse problématique qui ne savait rien faire si ce n’était vandaliser les rues de Chicago et cracher ses tripes chaque matin. Zev aurait pu allonger une somme considérable que l’avis des jurys de sélection des écoles d'art n’aurait pas changé : mes gribouillis étaient trop alternatifs pour être appréciés, mon historique trop complexe pour qu’on daigne passer outre, mon dossier simplement trop mauvais. Et de toute manière, mon Vieux n’avait pas à payer les études d’une gamine qui n’était pas vraiment la sienne.

Je m’étais retrouvée comme une imbécile à ne pas savoir quoi faire de ma vie. Les dents sur le trottoir, j’ai enchaîné les menus travaux et les boulots alimentaires dégradants, espérant amasser suffisamment d’argent pour pouvoir quitter le nid familial, abandonner ma chambre pleine de cauchemars et m’offrir le luxe d’un appartement, aussi miteux soit-il. Mais j’étais incapable de garder un emploi plus de quelques semaines, et mon rêve de prendre mon envol s'effritait entre mes mains. J’étais trop taciturne ou au contraire trop virulente, trop maladroite ou trop peu concentrée, trop négligente, trop lente ; bonne à rien, mauvaise en tout ; souvent trop ivre.

Je passais des nuits interminables qui se confondaient, s’entrechoquaient, mangeaient mes jours et ma santé. J’avais le sang imbibé d'éthanol, la peau tant chargée de gnôle que je fuyais les étincelles de vie dans les sourires et les yeux de mes proches par peur de m’embraser. Je noyais mon alcool dans le chagrin et inversement, ne dégrisant jamais, pas même lorsqu’il fallait travailler pour la Famille.
J’avais rapidement cessé de compter le nombre de fois où mon Vieux m’avait retrouvée dans un état pitoyable, misérablement éclatée dans l'escalier qui séparait le club de notre foyer. Ses grandes mains m’attrapaient par les épaules pour me redresser et me traîner jusqu’à la chambre que je détestais tant. J’espérais, au fond, qu’il me récupère et me mette au lit pour pouvoir m’accrocher à un pan de ses vêtements et l'implorer de rester un peu avec moi, comme avant. Son ombre rassérénante éloignait le Diable et mes souvenirs, et les mots qu’il psalmodiait en ukrainien chassaient les larmes chargées de peur et de dégoût qui roulaient sans interruption sur mes joues. Zev garderait à jamais les cernes creusés des heures d’insomnies passées à s’inquiéter pour moi. Ils le rendraient plus vieux encore qu’il ne l’était déjà.

Mon Vieux, il n’avait pas prévu de me trouver un soir, à m’étouffer dans mon vomi, mon inconscient tentant de me noyer du mieux qu’il le pouvait pour effacer une bonne fois pour toutes les riens de mémoire qui nous hantaient. Il m’avait rendu le souffle, tenu les cheveux qu’il tressait maladroitement quand je n’étais qu’une gosse et avait attendu que mon corps se vide une énième fois. Je n’avais pas dix-neuf ans quand il m’avait vissé le cul sur une chaise des Alcooliques Anonymes, m’y enfonçant tant et si violemment qu'elle avait manqué craquer. J’avais gueulé pour protester, mais la soufflante qu’il m’avait collée m’avait secoué l’âme et cloué le bec. Zev, il avait déjà perdu un peu de moi, un peu de lui, trop de ce que nous étions quand j'étais encore une gamine ; il avait peur de perdre ce qu’il restait, je le voyais dans ses grands yeux ternes.
J’essaierais à plusieurs reprises de sortir la tête de l’eau sans jamais réellement y parvenir. Il y avait toujours un verre au bout du compte pour me faire boire la tasse, me noyer au bout d’un mois, de quinze jours, d’une semaine. J’essaie encore, les badges de mes trente jours d’abstinence entassés dans un coin de mon esprit et de mon appartement.  

Mon Vieux faisait de son mieux pour me sortir le nez de la misère. Il devait se sentir coupable dans cette histoire, quand bien même il n'était jamais que le sauveur qui peinait à remettre à flots le naufrage que je faisais. Il m'avait ramassée un soir et m'avait flanquée derrière le bar du club. Celui où j'avais grandi et où il était le pus fréquemment. Celui où j'avais si souvent vu danser Mag, que je retrouvais parfois en observant une fille ou l’autre se déhancher, le regard triste. Je faisais une piètre barmaid, mais tout le monde était satisfait : Zev pouvait m’avoir à l’œil, les clients rinçaient le leur sur mes tatouages, et moi, je gagnais mon pain sans plus vouloir m’échapper par crainte de briser encore son cœur. On ne quittait jamais vraiment la Famille de toute manière. J’appartenais au Diable, corps et âme – ces deux choses pathétiques qui auraient dû n’être qu’à moi mais qu’il avait réussi à vicier en les forçant convenablement.
J’étais payée correctement pour enfiler des tenues indécemment courtes et des talons vertigineux dans lesquels je ne savais pas marcher. Si on avait le droit de toucher les danseuses, on savait en revanche que ma peau était une limite à ne pas franchir. Ceux qui perdaient leur main sur mon cul se faisaient briser le poignet, Zev n’étant jamais bien loin. Les autres, dissuadés, se contentaient de glisser un ou deux billets sur le bar, espérant obtenir des faveurs dont ils ne voyaient jamais la couleur.

En fin de compte, ça m'avait permis de payer le loyer d'un petit appartement aux allures de bouffées d'oxygène dans une tour à peine construite de Chicago Avenue. Je m'étais installée sans penser un seul instant que l'enfer que je laissais un peu derrière moi se prolongerait jusqu'au Square. Sans songer que tout ce que je possédais finirait englouti dans un nuage de poussière et de gravats. Mais la résidence s'était effondrée, ensevelissant les maigres espoirs que ma fuite m'avait permis de nourrir. J'étais retournée chez mon Vieux sans même m'en rendre compte, mes pas me ramenant automatiquement vers le club dans lequel je travaillais toujours, la chambre que je détestais tant, et le Diable, dont l'ombre, lorsqu'elle planait au-dessus de moi, me rendait plus malade encore.
Je n'avais pas cherché à tenir bon, ni même à m'accrocher à l'idée que je parviendrais à retrouver un appartement un jour. J'avais posé mon sac chez Zev avec la volonté de m'enliser là, incapable de m'imaginer un quelconque futur, haussant simplement les épaules chaque fois qu'il me disait d'une voix fatiguée qu'il aurait aimé me voir ailleurs. Il avait fallu que je rende mes tripes entre deux cocktails fraichement préparés pour un client pour que mon Vieux me foute à la porte, en me collant au passage une gifle qui avait fait trembler les murs du club et toutes les personnes présentes. J'avais échoué à l'endroit-même où j'avais cru pouvoir profiter de ma liberté, terminant au septième étage du Square, dans un foyer pour gamines tout aussi perdues que moi en attendant de pouvoir m'installer ailleurs.

Zev, sans doute dans une dernière tentative de me sauver, m'avait offert les clés d'un appartement écharpé au nord de la ville, une petite ruine de deux pièces à peine qui me ressemblait un peu et qu'il fallait réhabiliter intégralement. J’avais beau retaper les défauts monstrueux et les problèmes constants qui le crevaient, chaque trou colmaté, chaque vitre remplacée ouvrait une nouvelle plaie quelque part. Parfois, mon Vieux venait m’aider à transformer mon taudis. Il remontait ses manches et rendait un peu de sa superbe à mon futur chez-moi, attendant silencieusement que je lui pose les questions qui le rongeaient mais que je taisais pour ne pas nous blesser davantage. On se remémorait dans notre langue les instants bénis où je n’étais qu’une enfant, une toute petite gosse, pas bien bavarde, qui passait la moitié de la journée le nez planté au sol et l’autre à se rattraper tant bien que mal aux jambes de Mag ou aux siennes. Et on trinquait. À Mag, à nous, à l'avancée des travaux qui n'en finissaient pas, avec des alcools d'un pays cher à son cœur qu'on buvait jusqu'à la lie en espérant y noyer notre vie.



La nuit n'attrape jamais froid. | Levine LW7kpWq

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Dim 2 Mai - 12:24
PTDR GANDALF.
Toujours fidèle au poste Caligari, ça fait plaisir La nuit n'attrape jamais froid. | Levine 4113671763 Rebienvenue à toi, j'te présente pas le forum t'es à la maison, mais tu sais où me trouver si besoin What a Face
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Jeu 6 Mai - 23:05
Oh mais meuf, j'avais pas vu ta fiche. Putain.
Re ici beauté ! La nuit n'attrape jamais froid. | Levine 510221069
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Dim 9 Mai - 13:56
@Elmer Marcellina : j'allais pas vous abandonner si vite. Puis je compte bien croiser la plume en RP avec toi cette fois ! La nuit n'attrape jamais froid. | Levine 1478722059 La nuit n'attrape jamais froid. | Levine 510221069

@Hunter Fawkes : mais tu vois jamais quand je poste la fiche de Lev en fait, j'vais finir par croire que t'as un message subliminal à faire passer. La nuit n'attrape jamais froid. | Levine 5891921
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La nuit n'attrape jamais froid. | Levine Empty Re: La nuit n'attrape jamais froid. | Levine

Mar 11 Mai - 11:02
Bienvenue au Square !

Pardon du retard, mais je voulais lire ta fiche en entier ! Quel plaisir de te lire de nouveau en tout cas, et quelle histoire ! On se voit en rp cette fois-ci, hein What a Face

Ca y est, tu fais enfin partie des nôtres ! Avant toute chose vérifie que ton personnage est bien inscrit dans les différents répertoires ; une erreur est très vite arrivée. Une fois cela fait, tu peux aller poster ta fiche de liens, ton téléphone et ton instagram pour qu'on soit au courant de tout ! C'est tout bon, tu te lances en rp ? Alors n'hésite pas à vérifier le répertoire des rps libres, comme ça tu t'intègres tout de suite ! ♥ A bientôt en jeu, ou sur la CB !La nuit n'attrape jamais froid. | Levine 4113671763
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