High Rise

Tu fixes avec attention les touches de l’ascenseur dont certains numéros ont déjà partiellement disparu, travail en partie acharné de doigts gras et de gens souhaitant faire disparaître quelque étage contre lesquels ils ont une dent. T’attend juste d’atteindre ton étage, comme s’il était inatteignable. La première fois il ne s’y est pas arrêté, comme si les hauteurs avaient la priorité sur le votre et après un autre aller tu te prends à te demander si le bouton du 10 n’est pas juste cassé et qu’il n’y a aucun moyen d’y arriver par cet ascenseur. Dommage, tu comptais y installer des affiches. Tu coules un coup d’œil vers la gamine blonde qui monte avec toi. « Hep, blondie, ça te dit de te faire quelques billets ? » Tu indiques d’un mouvement de menton les cartons qui sont empilés dans un coin de l’ascenseur. « Faut les monter au 10. »

Zara soupira en lisant un texto laconique de son ex (avec qui elle devait se mettre d'accord pour savoir quand elle récupérait ses dernières affaires, et notamment un superbe bureau incrusté de pierreries qu'elle n'était pas trop sûre de vouloir récupérer vu que c'était un de ses cadeaux). Elle monta dans l'ascenseur sans faire attention à son compagnon de route avant qu'il ne lui adresse la parole.
C'est que Zara avait été bien élevée et qu'elle était persuadée qu'il était poli de répondre quand on lui adressait la parole.

« Hm ? »

Blondie, c'était pas un peu cavalier comme surnom, même si c'était vrai ? Elle jeta un regard sur les numéros lumineux affichés sur l'ascenseur, et la flèche qui bugguait et disait n'importe quoi. « Mais on y arrive au 10... vous êtes pressé peut-être ? »

C'était pas un peu étrange d'être pressé au point de lâcher de la thune ?

Tu fronces le nez, toisant un instant Blondi qui se fait attendre, jauge tes cartons comme si elle avait mieux à faire ou était en positon de force. Tu inspires, expires et tu te détends en roulant de ta tête et relâcher la tension qui s’est accumulée dans tes épaules lors de votre amorce d’échange. « Non… mais j’vais pas laisser mes affaires dans l’ascenseur. » C’était un bon moyen pour les voir disparaître, d’autant plus que les gens du Square étaient rarement connus pour leur honnêteté. « Ca te tente ou pas ? on arrive là, j’veux juste une réponse. » Tu pousses du pieds l’un des cartons vers la porte tandis que celui-ci ralentit sensiblement pour se stabiliser au niveau de l’étage.

Zara était une fille honnête, et suffisamment intelligente pour reconnaître un mauvais deal quand elle l'avait sous les yeux (oui elle parlait de Billy là, et elle avait parfaitement raison), mais il se trouvait aussi que sans la black card de son ex, eh bien la vie était plus difficile.
Et si vraiment elle pouvait se faire du fric en portant des trucs au dixième...
ça paierait sans doute des petites courses et c'était en l'état des choses une excellente nouvelle !

« Faut juste les apporter au dixième ? Quel appart ? »

Elle glissa son téléphone dans sa poche de trench, son regard bleu se portant sur le visage de Billy, attentive.

« Oui, oui. » Tu renifles, la porte s’ouvre et t’indique d’un signe de tête les cartons qui trainent dans le fond. « Au 7. » En soi c’était pas bien loin et si tu te dépêchais tu pourrais faire tous les trajets tout seul mais t’avais créé un microcosme de petites frappes, encore trop jeunes pour avoir des couilles mais qui étaient cons à bouffer du foin en bande. Si t’en as balancé un dans les escaliers pour avoir cru pouvoir te la mettre à l’envers, y en a bien un autre qui s’y risquerait. Tu détournes le regard pour observer le couloir et tu finis par bailler en soupirant, t’as mal partout depuis des semaines, t’es trop grand pour te contenter d’un matelas étriqué coincé entre le mur et ce qui te sert de siège. Tu te penches en grognant pour emboîter deux cartons et les soulever dans un autre bruit de protestation, celui-là exprimé par une bulle d’air qui se libère d’une articulation.

« Bon, ben c'est parti », acquiesça la blonde, emboîtant le pas au grand brun qui craquait comme un vieux navire ; elle récupéra 2 cartons en serrant les dents et le suivit en faisant attention où elle marchait comme elle pouvait ; c'était pas facile parce que les cartons étaient encombrants.

Puis ils étaient lourds, elle trouvait.

« Dis donc t'as mis des briques dedans ? » essaya-t-elle de plaisanter, le souffle pas court, mais un peu bousculé par l'effort.

Elle crut sentir un regard de mouflet qui la surveillait, mais avec la gêne visuelle des cartons elle aurait pas su dire si c'était réel ou pas.

« Ouais, y’en a b’en qu’en auront b’soin pour la caution. » Tu ricanes et indique d’un signe du menton à un des gosses qui traine toujours devant la boutique de vous ouvrir la porte. Il opine et s’empresse de la pousser. Tu lâches un carton devant pour la retenir ouverte et il oscille, probablement coincé entre un esprit étriqué et un élan de spontanéité. Il finit par se décider à ne pas bouger et garder inutilement la porte ouverte. « J’te laisse les poser là, j’vais chercher c’qui reste. » Tu abandonnes la nana et le gamin en tête à tête sans plus d’instructions et tu parcours les quelques mètres jusqu’à l’ascenseur en quelques grandes enjambées, ignorant le mouflet qui était probablement en train de chercher comment faire tourner à son  avantage le travail de la blonde. Le môme finit par se mettre en travers du chemin et tendre des bras qu’il pense vaillant. « Tu peux pas rentrer, je les prends ! »