High Rise

Trois heures du matin. Il revenait d'un service particulièrement éprouvant. Trois morts dans l'ambulance, ça faisait beaucoup pour une soirée. Il lui restait un peu de rouge séché sur les doigts, incrusté dans ses ongles. Il avait oublié de mettre ses gants. Trop fatigué pour y pensé, il avait pratiqué les premiers soins, en attendant les médecins, sans prêter attention à son manque de sécurité. Il s'était mis en danger.
Il était si fatigué, putain.
C'était la mine vaseuse qu'il entra dans la boutique de celui qu'il appelait RedBully, son fournisseur de boissons énergisantes. Habitués à se faire livrer une caisse de cent canettes par mois par les gamins, il devait payer aujourd'hui pour le mois prochain. Derrière le comptoir, c'est un gamin qui l’accueille, baillant aux corneilles. "Va me chercher Billy." Pas d'bonjour, pas de s'ilteplaît, le souriant Vasco est particulièrement tendu, nerveux.  Il ressemblait à son père dans ses moments-là. Il avait particulièrement besoin de sommeil, il n'avait même pas pris le temps de cacher ses cernes. Il sentait qu'avec Billy, y'avait pas besoin de mettre un masque. "Hé, t'as entendu ?" Le gamin sursauta et ouvrit de grand yeux. "Va me chercher ton patron. Maintenant."

Billy émergea enfin de sous son bureau. Vasco aperçut sa tète lui renvoyer un sourire amical qui lui rendit aussitôt. Rossi considérait qu'il valait mieux avoir Billy dans sa poche que le contraire, et même s'il désapprouvait ces pratiques douteuses, il se fermait bien sa gueule. "Désolé d'te réveiller, mais je savais pas venir avant." Il ne s'expliquait jamais, ne donnait jamais les détails. Vasco n'appréciait pas l'idée que tout le monde soit au courant de sa vie pour des raisons qu'il ne comprenait pas lui-même. Le gamin sauta de son tabouret et fila vers les rayons. Une fois hors de vue, Vasco s'accouda au comptoir et tandis sa main vers une canette de coca dans un mini frigo. "J'te prends ça." Il sorti son portefeuille de l'arrière de son pantalon et donna un peu plus que le prix indiqué. Vasco était beaucoup trop généreux avec Billy, mais avoir quelqu'un dans sa poche, c'est aussi le payer de la manière la plus adéquate. Et Billy aimait le flouze. "J'viens t'payer ma caisse pour le mois prochain et t'proposer un nouveau bail." Il but la moitié de sa canette d'une traite. Le froid le réveilla un petit peu, le pétillant semblait contaminer ses cellules qui s'éveillèrent tout doucement. Son visage repris quelques couleurs. "Si j'te paie pour un an, ça t'conviendrait ? J'perdrais moins d'temps à venir tous les mois. Ca m'arrangerait pas mal." Sans compter que les cours individuels de natations se faisaient plus nombreux, et que bientôt son mi-temps ne suffirait plus.

6000 dollars, une broutille pour Vasco. Il gagnait de l'argent qu'il ne dépensait qu'en red Bull, en cornets de pâtes et ticket en transports en communs. Le cash amassé lors des courses illégales était entreposé dans son appartement, à peine cachés. "J'reviens dans 5 minutes" qu'il déclara avant de tourner les talons, rabattant sa capuche sur son front, prêt à affronter les étages. Contre la paroi de l'ascenseur, il lutta le temps de la montée pour ne pas s'endormir. Ascensseur qui ne montait pas puisqu'il était déjà au dixième. Il se traita de con, jura tout haut avant de sortir de la boite métalique. Faire affaire avec Billy était rapide, et c'était ce dont il avait besoin. Il marcha jusqu'à son appartement. Le couloir était vide et silencieux. Une fois dans son appartement, il fonça dans la cuisine et ouvrit un des nombreux placards vides pour attraper une liasse et se mit à compter rapidement. Il avait surement dû faire une erreur en comptant étant donné sa fatigue et son manque d'attention du à sa journée éreintante, mais il ne préféra pas s'en formaliser. Il remis tout en place, glissa le paquet dans la poche ventrale de son sweat et lorgna un instant sur seul meuble qu'il avait : son lit. Il avait l'air si accueillant, putain.
Pourtant, il fit le chemin inverse, oubliant peut-être de fermer à clé son appartement, il ne savait plus vraiment et s'engouffra à nouveau dans la boutique.

Il regarda si aucun gamin n'était en vue et posa d'un coup sec l'argent sur le comptoir sans le lâcher. "J'suppose que tu m'as fait une facture ?" Ouais, il était gentil et tout ce qu'on voulait, mais il était pas con non plus.

Il répondit avec un sourire espiègle tandis ses rides fatiguées semblaient encore plus se creuser à la remarque de Billy. Il lâcha un petit rire léger, traduisant qu'il ne souhaitait pas avoir de problèmes avec Red Bully. Il savait bien que son shop cachait de sombres affaires, tout comme l'équipe de moniteurs de natation d'ailleurs. Décidemment, ce Square était tout sauf un endroit plaisant où il faisait bon vivre. entre les kidnapping, les trafics, les gosses qui disparaissaient et d'autres trucs mystérieux, fallait pas s'étonner de la population qui stagnait dans les bas étages. A se demander si les plus riches n'étaient pas maso de venir se perdre dans les hauteurs du building. "Qui sait ? J'ai l'habitude d'être étonné avec toi." qu'il lâcha plus par flatterie qu'autre chose. Il l'observa ramener une lampe qui devait fonctionner sur piles (de toute façons, il s'en fichait pas mal). D'ailleurs, il ne serait pas étonné que Billy soit à l'origine de cette coupure de courant, on ne sait jamais quelle idée il a derrière la tête pour faire fonctionner au mieux son business. "Une poignée d'main et un papier suffiront. C'est toujours un plaisir de faire affaire avec toi." Il lança un clin d'œil et serra sa main d'une poignée plus ou moins ferme. Assez pour signifier qu'il fallait pas non plus le prendre pour un crétin, mais pas trop pour éviter de lui broyer les os. "D'ailleurs, en parlant de niquer. T'connais pas une meuf pas trop chiante ?" Sous-entendu qu'il ne fallait pas draguer pendant des jours pour obtenir une faveur charnelle. "Et qu'il ne faut pas payer." Ouais parce que les putes, merci, mais non merci.

Il est certain que ce bout de papier ne valait rien légalement, mais pour Vasco c'était autre chose. Il voyait plus ça comme un aide-mémoire, parce qu'il espérait qu'avec sa facilité à allonger l'argent, Billy n'allait pas la lui mettre à l'envers. Non. Vasco est optimiste à ce sujet. L'bout de papier était signé, et il le glissa dans son porte-feuille, libérant l'argent de sa poigne. "C'est qui, elle ?" rétorqua-t-il suffisamment intéressé pour reporter son regard sur le vendeur. Ce nom ne lui disait rien du tout, et l'expression que Billy affichait était assez indescriptible. La vérité ne tarda pas à éclater et Vasco secoua la tête en guise de refus : hors de question de se fricoter avec une fille qui attirait les emmerdes comme les aimants attiraient les métaux. Il avait d'autres choses à faire. "Mais qu'est-ce que vous avez tous avec mon cul ? " Il lâcha ça sans prendre le temps de retenir ses paroles. C'était quand même la deuxième fois qu'un type lui faisait une réflexion sur son derrière cette semaine. Non pas qu'il était agacé, mais il n'appréciait pas vraiment être vu comme un morceau de viande. Cependant, il ne pouvait que s'en prendre à lui-même, c'est lui qui se forgeait une réputation de tombeur à force de ramener toutes les minettes à la piscine, mais bon, ça collait à l'image qu'on attendait de lui. Il agita la main, agacé : "Laisse tomber, au pire j'me contenterai d'ma main gauche."