High Rise

Certains -tout le monde en réalité- pourraient arguer qu'il fait beaucoup trop froid pour traîner dans les rues de Chicago en ce moment. Et pour cause, ils annoncent encore de la neige demain, et dès que le soleil se couche -encore qu'il semble ne pas sortir très souvent- l'herbe a tendance à geler. Même les habitués ne sortent pas sans être chaudement couverts, et les jardins d'enfants ont tous été délaissés au profit des aires de jeux d'intérieur. Qu'on se le dise, c'est un temps à rester roulé comme un nem sous sa couette, devant une comédie romantique en enfilant des popcorn et en buvant du chocolat chaud. 

Et je vous assure que j'étais partie pour le faire.

Seulement voilà, j'ai aperçu une éclaircie. Un minuscule rayon de soleil venu me chatouiller les narines et j'ai pris ça comme un signe. Qu'est-ce que ça aurait pu être d'autre, honnêtement ? Alors après m'être assurée qu'il n'allait -à priori- pas pleuvoir tout de suite, j'ai enfilé ma tenue de sport et je suis sortie dans le parc, à quelques rues du Square. Je bénis l'invention des leggings intérieur polaire, croyez-moi. 

Tapis de yoga sous le bras, j'essaie de me placer où je suis certaine de ne pas me retrouver subitement à l'ombre, et je visse les écouteurs sans fil dans mes oreilles, sagement calés sous mon bonnet. Il n'y a pratiquement personne dehors, du moins personne qui s'attarde ici autrement que pour une brève promenade, et je peux entamer ma séance tranquillement.

Le ciel était bleu, les oiseaux gazouillaient de leur plus belle mélodie, et voici l’enfant déchu de sa vie se promenant dans un parc. Sans doute une activité anodine qu’il n’aurait jamais pratiquée si sa condition sociale n’avait pas changée. D’habitude, il se promène dans les clubs et salon de thé de la haute société, les cours de golf où se réunissent la crème de la crème… Enfin, ce genre de milieux inaccessible. Mais aujourd’hui, tout est différent. Aujourd’hui, il se doit de se promener avec la plèbe, supporter les odeurs et les manières de ce qui ne lui ressemblait pas, voir les parents aux bambins criards les fustiger dans leur poussette, les femmes âgées ramasser les crottes de leurs chiens, ou encore des hommes vigoureux mener leur running hebdomadaire... cette dernière activité, il n’allait pas s’en plaindre. Avec un peu de chance, peut-être que l’un d’eux fera tomber le t-shirt.

Donc en ce beau début de journée ensoleillé, Zai n’avait rien de mieux à faire que de … ben courir au parc. C’était loin d’être son activité sportive favorite, cependant, ça ne coûtait pas d’argent, et ça, c’était très très très important. Peu de monde, c’était parfait, cela voulait aussi dire moins de gens à insulter sur son chemin. Au bout de son 5ème km, le voilà haletant, allant à une allure moindre, tentant de rattraper son souffle jusqu’à s’arrêter complètement. C’est en regardant autour de lui qu’il remarqua une personne en pleine séance de... Yoga. Oh! Quelle bonne idée de faire du yoga en plein air, en fait. L’appartement dans lequel il résidait ne lui permettait plus trop de faire ses mouvements en paix.  
Sauf que la jeune femme se tenait... mal. Ce n’étaiit pas bon du tout pour son dos de l’avoir aussi courbé. Non mais vraiment, ces femmes qui croient tout connaitre au yoga alors qu’elles sont incapables de se tenir correctement. Il s’approcha d’elle donc tout naturellement, encore un peu haletant, avant de lui lancer : “Vous vous tenez très mal. Vous risquez de vous blesser sévèrement comme ça.” Evidemment, il continua de l’observer sous un certain angle. “Avez-vous un souci pelvien ?”

J'ai entrepris une séance de yoga dans un parc quasiment vide alors qu'il fait un froid glacial, aussi je m'attends à être quelque peu dévisagée. De toute façon, dès lors qu'on fait du sport en extérieur, surtout dans un tel coin de la ville, les gens ont tendance à s'arrêter pour vous observer, qu'ils soient moqueurs ou simplement curieux. Aussi je ne prête pas tout de suite attention à la silhouette qui s'est immobilisée non loin de moi. Ce n'est qu'en réalisant qu'elle s'attarde, visiblement dubitative, que je lève le museau. L'homme qui me fait face a les joues rougies par l'effort, les cheveux légèrement moites de sueur malgré les températures glaciaires, aussi je considère d'abord qu'il s'interrompt seulement pour reprendre son souffle.

Clairement, je ne pourrais pas être plus surprise que je le suis, quand il m'interpelle. Je cligne des yeux en me redressant. « Je vous demande pardon ? » Je suis surprise non seulement de son manque évident de pudeur, mais en plus légèrement piquée dans mon ego parce que je fais du yoga depuis des années et je suis certaine de ne pas avoir de si mauvaises postures ! « Un souci pelvien ? » Répété-je, incrédule. Pour s'adresser à une parfaite inconnue de la sorte, il n'y a que deux options possibles à mes yeux : ou bien il est professeur de yoga, ou bien il est médecin (ou kiné, ou ostéo, enfin un truc dans ce genre là).