High Rise

« Et voilà ! La dernière curiosité du toit ! »

Elmer poussa la porte de la cabane du jardinier qui grinça sinistrement sous ses doigts pour se rabattre contre le mur sur le côté. Elle était si petite qu’en ouvrir la porte suffisait à l’éclairer. Il y avait bien sûr une vieille ampoule qu’on avait accroché au plafond, mais elle avait été explosée depuis longtemps, certainement pour des histoires de composants illégaux et de drogue. Quelques araignées fuirent les deux visiteurs. De vieux outils rouillés étaient entreposés sur le sol comme des pièges, ou posé contre le mur de bois pourri comme des gardes des bouquins qui avaient été déposés dans le fond. Elmer ne savait plus qui avait commencé cette tradition, mais elle avait été poursuivie, et désormais cette vieille cabane de jardinier était devenue une cabane à livres.

« C’qui est bizarre avec ce genre de cabane, c’est que les livres sont jamais les mêmes et tu vois jamais les gens les déposer. J’aimerais trop être une petite souris pour voir les gens qui déposent tel ou tel truc. Voir si j’peux identifier qui va poser un bouquin policier, ou un roman à l’eau de rose. »

La froideur du climat amena à ses narines une odeur de cendre qui lui donna envie de fumer. Il fouilla dans sa poche à la recherche de son paquet de clopes. Il n’était pas retourné sur le toit depuis la nuit du 8, comme s’il était possible que les malfaiteurs le chopent encore.
Fort heureusement pour lui, il en avait peu de souvenirs.

J'avais suivi chacun de tes pas depuis mon arrivé pour la visite. J'étais à la fois stressé, mais aussi excité. Je ne savais pas vraiment ce qui m'attendais, et pourtant j'avais une bonne impression. Surtout par rapport à toi, tu me paraissais bienveillant, pourtant nous ne nous connaissions encore pas vraiment, mais je n'avais pas cette envie de me fermer à toi. J'avais envie de te laisser rentrer petit a petit dans ma vie, et pourquoi pas devenir amis.

La visite passa rapidement, l'appartement était agréable, et le fait de savoir que je n'allais pas y être seul me rassurais. J'avais aperçu très rapidement le second colocataire qui avait également l'air sympathique, bien que plus discret que toi.

Une fois arrivés sur le toit - j'étais assez surpris qu'on puisse y accéder d'ailleurs - ce fut la dernière chose qui me décida définitivement à prendre cette colocation, c'était si calme et reposant et la cabane où un tas de livres étaient déposés me rassura encore plus. C'était une chose originale et bienveillante. Alors j'avais attrapé un livre au hasard pour en détailler la couverture.

"J'adore cette idée. C'est vrai que parfois on pense connaitre le style de quelqu'un en se fiant à la personne qu'on a devant nous, alors que c'est totalement autre chose sans qu'on ne le sache."

Je repose le livre et observe l'intérieur, essayant de faire abstraction des araignées et de leur toiles qui occupe le petit lieu.

"C'est dommage que ce soit pas un peu plus entretenu. Tu crois que je pourrais y faire un peu de rangement et de décoration ?"

Cet endroit m'intéressais énormément, et j'avais envie de le rendre encore plus confortable et bienveillant qu'il en avait l'air. J'imaginais déjà un peu comment arranger cette petite pièce.

Repositionnant la béquille qui lui permettait de se déplacer malgré sa cheville pétée, Elmer haussa les épaules tout en s’alluma une cigarette de sa main libre avec un coup de briquet qui claqua sèchement. La fumée se dispersa au dessus de sa tête après qu’il l’ait crachée de côté pour ne pas enfumer les lieux.

« Ecoute, la cabane n’est à personne, personne ne s’en occupe. Je pense pas que ce soit interdit. Tant que tu la squattes pas en empêchant les autres d’entre auquel cas la Royal serait capable de te faire payer un loyer, sinon...Tu as des idées ? »

Il pénétra dans la cabane à son tour avec l’impression à quelque trente ans, d’être déjà au crépuscule de sa vie à cause de cette béquille qui faisait comme une canne. Il poussa du bout du pied un carton robuste qui devait contenir un tas de trucs lourds et décida que ça faisait une chaise. Il s’y laissa tomber, sa cigarette sortie à l’extérieur de la cabane, et tendit l’oreille.

« C’est marrant. On est si haut ici qu’on entend rien. C’est comme être au sommet d’une montagne. »

Mon regard se porta sur ta cheville, puis à nouveau sur toi, et d'un air curieux, mon doigt pointa ta blessure avant de demander.

"Qu'est ce qui t'es arrivé ? J'espère que c'est pas un espèce de fantome qui hante l'appartement qui ta pousser !" un petit rire m'échappa à ma plaisanterie alors que je te regardais craché la fumé, la repoussant doucement d'un petit geste de la main tout en reposant le livre que j'avais pris, ouvert et observais quelque secondes juste avant.

"Oh, non evidemment non je veux pas m'approprier l'endroit ! Mais, je trouve ça dommage d'avoir un petit endroit comme ça si mal entretenue. Je me dis que le rénové pourrait être sympa et chacun pourrait y venir ici quand il en a envie! J'ai déjà quelque idée, propre et rangé, ça nous ferait plus d'espace, avec quelque lumière par ci par la, unpeu de verdure, ça en ferait un endroit génial !"

Mon regard suivit ton geste lorsque tu poussa le carton pour t'y asseoir, je décida de rester debout, m'appuyant contre l'encadrement de la porte.

"C'est vrai que c'est vraiment calme, raison de plus pour exploiter cet endroit. Chacun pourrait s'y sentir encore mieux. Tu penses que je devrais faire une demande pour les habitants pour savoir s'ils sont d'accord et ce qu'ils veulent y faire ..? Ou juste m'en occupé et leur faire la surprise ? Je veux pas que les autres me detestent pour avoir pris en charge le projet."

« Non. » répondit Elmer avec un sourire doux. « Ce n’était pas un fantôme. »

Bien sûr il se garda bien de lui dire qu’il s’agissait ni plus ni moins que d’une tentative d’enlèvement et que au passage on avait essayé de le jeter du haut du toit pour se débarrasser définitivement de lui. Non, dans la douceur de l’ambiance qu’ils partageaient actuellement, son colocataire n’avait pas besoin de savoir une chose pareille. Il se contenterait du fait que Elmer était vivant et qu’il traînerait la patte jusqu’à ce que cette dernière se rétablisse complètement.

« Je suis bien d’accord. Tu sais quoi, on pourrait même poser une annonce chez Billy et convier d’autres habitants à rénover ça avec nous, ça me permettrait de te présenter d’autres personnes de l’immeuble, qu’est-ce que tu en penses ? »

Il couva Isaïah d’un regard aussi doux que son sourire, tira sur sa cigarette et garda un temps la fumée entre ses lèvres, le temps qu’elle roule contre son palais, danse sur sa langue. Il la recracha du coin de la bouche, le regard songeur perdu dans le ciel bleu.

« Oh tu sais, quoi qu’on fasse y’aura toujours des gens pour ne pas être contents. On doit être combien, mille, facile, ici ? La moitié ne verra pas l’annonce, et dans l’autre moitié il y aura bien quelques habitants qui ne seront pas d’accord avec l’idée mais l’auront bien vite oubliée. Je pense qu’on peut faire globalement ce qu’on veut tant qu’on ne fait de mal à personne. »