High Rise

Zai chouinait. Dans sa tête, certes, mais il chouinait quand même. Il devait se séparer de ses derniers dollars. Pour ? Pour un verre de pisse à peine buvable, dans un bar macabre où il y avait de fortes chances qu’il se chope une hépatite, un virus, un cancer, un truc que seuls les gens du “ grand peuple” (pour ne pas dire “plèbe”) chopent. Il se lamentait sur son propre sort, épuisé mentalement par ces derniers jours. Il ne pensait pas que son père tiendrait le coup, qu’il le laisserait crever comme un mal propre dans les rues sales de cette ville.  
Du coup, pour passer le temps il s’était dit qu’une petite sortie lui ferait du bien, en plus de lui changer les idées.  

Ses pas le guidèrent donc vers un endroit nommé Red Manor. Les néons criards lui faisaient mal aux yeux. Et... évidemment, une boite de strip-tease. Il faillit s’étrangler et rebrousser chemin, mais les gardes devant la porte l’en dissuadèrent. OK, un verre alors. Soupirant, s’approchant du bar... Fais comme si le monde t’appartient, et tout ira bien, Zaiden.  
Un martini à la main, et le voilà se tournant vers la scène... il n’y avait vraiment rien de classe dans ce qui se faisait ici. Il avait l’impression d’avoir été projeté dans un vieux film de flics à la recherche de la mafia italienne. Un peu cliché, en effet.  Une voix, néanmoins, le sortit soudainement de sa contemplation.  

« Bonsoir excusez-moi de vous aborder comme ça, mais je suis persuadé de vous avoir déjà rencontré ; est-ce qu’on se connaît ? »

Zaiden plissa les yeux, regarda l’homme quelques secondes... Avant de le scanner de la tête au pied. Et c’est seulement en revenant sur son visage que ses yeux s’illuminèrent : “GILLIAN ?” Un grand sourire s’installa sur le faciès olive. “OH! Je suis déçu si tu ne m’as pas reconnu. J’ai un peu grandi mais quand même...” Il passa une main dans ses cheveux, son air hautain à nouveau en place. Un peu grandit était un bel euphémisme. “Mais je vais te laisser me replacer tout seul.” Il ne pensait pas être si joie de revoir l’ancien garde du corps. Dans un endroit aussi improbable que celui-ci.

Ça fait toujours du bien de revoir un visage familier, longtemps oublié, mais apparaissant aux moments les plus improbables d’une vie. Zai garda son sourire, toujours ravi de revoir une figure qu’il connaissait. Et encore plus ravi lorsqu’il constata que Gillian le replaçait enfin. Et effectivement, il n’avait pas menti lorsqu’il lui a dit qu’il avait grandi.  
Qu’est-ce qu’il faisait ici ? Bonne question. Si seulement il pouvait répondre à cette question comme à son habitude... Oh je me promène, je vaque à des occupations stériles, évidemment... Mais quiconque le connaissait suffisamment savait qu’il ne mettrait pas les pieds dans un tel endroit sans une bonne raison.  

Il prit un air de dégoût à l’évocation de lui, possiblement, travailler ici... Grand dieu, non : “Certainement pas.” Sa réponse était cinglante, instinctive, comme pour matérialiser le dégoût affiché sur son visage. Il se reprit cependant : “Non. Je... hmmm...” Très gêné soudainement, il se racla la gorge avant de reprendre : “Je me promène, je découvre heu... la populace, on va dire. Ce que les gens apprécient, de nos jours.” Petit tissu de mensonges invraisemblables, mais franchement pas complètement faux, à dire vrai. Après tout, il n’avait rien de mieux à faire. “Et toi alors ? Toujours garde du corps ? Quelles sont tes occupations dorénavant ?”