High Rise

Un poil éméché suite à la célébration du week-end avec son collègue Jonas, Inigo quitta le 307-308 pour monter jusqu'au 10ème étage ; il avait compris qui était son correspondant quelques jours plus tôt avec les indices donnés par ce dernier.
C'était un peu facile de retrouver l'épicier de l'immeuble ; bon certes y avait aussi le shop officiel mais il avait clairement pas les moyens d'y foutre les pieds, là-bas.
Ça tombait bien en plus, il avait un peu la dalle, et grave la flemme de faire à bouffer (c'était toujours lui ou El qui s'y collaient dans c'te coloc, et Elmer avait encore disparu il ne savait où et il ne valait mieux pas savoir où d'ailleurs).

La porte du 1007 ne s'ouvrait pas totalement, y avait un tas de bordel derrière qui l'en empêchait, mais heureusement Ini était du genre mince, et se glissa dans l'interstice sans forcer sur les gonds.

« Salut ? »

Il avait souvenir de la silhouette de Billy comme étant particulièrement haut perchée, mais il avait réussi l'exploit de disparaître quelque part dans sa caverne d'Ali Baba. Inigo avisa une sculpture de cheval très moche, une lampe sans ampoule, et un appareil dont il ne connaissait pas du tout l'utilité, mais pas de Billy.

Généralement, on pouvait te trouver derrière ton comptoir, il arrivait cependant parfois que tel slender man, tu prennes sur toi d’arpenter les dédales de ton épicerie. Tu envisageais de plus en en plus sérieusement de mettre une clochette ou un quelconque bruit provoqué par l’ouverture de la porte, ce afin de ne pas avoir à faire attention à chaque bruit sans t’inquiéter qu’un éventuel voleur essaie de se faire la malle en brisant l’équilibre précaire de l’ensemble. Tout le monde savait que la précipitation provoquait les pires accidents. Avachi sur ton comptoir, les bras croisés, tu te redressais à la salutation lancée dans le vide. « Bonsoir. » Ton plat, tu quittais ce qui te servait de coin nuit, bureau, repas, travail pour retrouver l’étranger. Tu t’attendais certainement à quelqu’un de plus court sur pattes que celui coincé devant le coin dépotoir de ton commerce – l’endroit où tu mettais les pièces récentes, celles sans réelle valeur ou celles encore où il fallait acheter plusieurs trucs pour les faire fonctionner. « Ouais ? » Tu remontais les manches de ton sweat au niveau des coudes, un sourcil arqué dans l’attente qu’il dise ce pour quoi il avait besoin de toi.

Inigo commença par sursauter au son de la voix de Billy – ce qui était un peu con parce qu'il savait qu'il était là, mais ça le rendait pas tranquille de savoir qu'il avait loupé une silhouette de plus d'1m90. Quand le maître des lieux se redressa, il avisa effectivement qu'il était derrière son comptoir, façon bestiole bien camouflée dans son environnement naturel qu'on ne remarque qu'une fois qu'elle se met en mouvement.
Ok, cool, fit-il en essayant de calmer les battements de son cœur. Il eut un de ses demi-sourires incertains.

« Cobra », fit-il en se désignant d'un geste.

Bon. Maintenant (oui, seulement maintenant), il se trouvait un peu con. Il passa outre, c'était pas la première fois, ça serait pas la dernière.

« Comment tu fais pour te retrouver là-dedans ? »

C'était le bordel, et sa fibre maniaque était en PLS.

« Ah. » Tu le dévisageais sans gêne, le regard critique passant de haut en bas, les yeux étrécis par la fatigue et par l’analyse que tu faisais de ce mec rencontré sur l’équivalent du Tinder local. En réalité, il était physiquement attractif, du genre à pouvoir sans peine passer pour un mannequin. « Salut. » Tu te détournais pour retourner à ta place, un bras sur le comptoir, l’autre posé dessous avec le menton dans la main. « J’ai une bonne mémoire et c’pas si grand. » Tu répondais mollement, désormais désintéressé en partie par l’interaction. L’homme n’était pas venu pour acheter et s’il le faisait, c’était poussé par l’ébriété, inutile de le pousser, il le ferait seul. « J’t’imaginais plus p’tit. » Ca te fait rire, sans réelle raison, un gloussement sec, joyeux, qui s’arrête aussi net et tu ne quittais pas ta pose, un sourire ourlant tes lippes sans animosité mais sans réelle joie non plus. « T’es même plutôt pas mal, qu’est-ce tu fous à être mécano ? »

Et le gars le scannait de son regard de tenancier d'épicerie, interminablement, classant sans doute tous ses défauts et toutes ses qualités dans son catalogue mental dont était pourvu (c'était bien connu) tous les épiciers du monde entier. Tous les trafiquants aussi et il était clair et net qu'il faisait partie de cette glorieuse profession. Une fois correctement scanné, il finit enfin par le saluer, et Inigo eut un sourire incertain en coin.
Derrière lui la porte d'entrée de l'appart claqua dans un courant d'air, occasionnant un nouveau sursaut de sa part – il était trop stressé ce p'tit chat, tout à fait.

« Moi aussi à vrai dire », rit-il parce que d'habitude il était plus grand que pas mal de gens et là c'était pas le cas. C'était clairement pas le cas, les gars.

Il eut un haussement d'épaules :

« Merci ? … J'suis mécano parce que c'est ma formation, en fait. Tu vas de nouveau me vanter la prostitution ? »

Ton sourire fait écho au sien, moins sympathique, moins tremblant, y a même une étincelle moqueuse qui traverse tes yeux à son sursaut. « Nah, j’suis pas mac, j’ai rien à y gagner, mec. Puis, t’pas l’air ‘ssez beurré pour dire oui. » Tu le lâches pas des yeux, le mec est pas à son apogée mais il n’a pas cette attitude particulièrement désinhibée qu’ont ceux qui arrivent au milieu de la nuit à la recherche de carburant ou de quoi éponger. « Qu’est-ce t’venu acheter alors, Cobra ? C’quoi ton vrai nom ? » Outre le regard très clair de ce mec – encore que de là où t’es et avec la luminosité de ta boutique, t’es pas tout à fait sûr que ce ne soient pas des lentilles – y a rien de dangereux qui émane de ce géant longiligne.

Le tenancier de l'épicerie clandestine H24 avait le sourire froid d'un requin, genre animal qui montre les dents parce que ça signifie qu'il peut mordre ; et Inigo finit par se demander derrière la légère euphorie du weekend et de l'alcool, s'il avait bien fait de venir.
Probablement pas.
On parlait du mec qui exploitait des gosses. Il secoua la tête :

« Ouais nan, puis j'manquerais certainement de clients, laisse tomber. C'pas une bonne idée. Chuis pas v'nu acheter des trucs, chuis venu discuter. J'te l'ai précisé plusieurs fois », fit-il en agitant son téléphone, avant de le remettre dans sa poche revolver. « J'm'appelle Inigo. Toi j'sais ton blaze, 'fin que le prénom ton nom de famille j'arrive jamais à m'en rappeler. »

T’hausses les épaules avec une légère moue moqueuse, sans te départir de ton sourire, t’as même un rire qui éclot, bref, sans joie, presque un aboiement. « Ca valait l’coup d’essayer. » Tu reposes tes mains à plat sur le comptoir, faisant peser le poids de ton corps vers l’avant. « Ok Inigo, donc d’quoi t’veux parler ? » Tu indiques du menton l’épicerie, sans te faire chier à lui présenter un coin où poser son cul. C’est simple, y a rien, faudrait qu’il fasse comme Mia et passe derrière le comptoir et t’es pas sûr de vouloir le voir te frotter d’aussi près pour l’instant. « [b)Y a pas grand-chose d’intéressant ici.[/b] » C’est faux, t’entendais assez de rumeurs pour pouvoir tenir un journal, ce qu’on ne te disait pas, les enfants le rapportaient. Une commère qui attend celui qui a le plus envie de savoir. « Bah, puis t’rabaisses pas comme ça, ça donne envie à personne. »

Il comprenait pas c'que ça voulait dire, dans le contexte que ça valait le coup d'essayer. Essayer quoi ? Comme beaucoup de choses qu'il ne comprenait pas, Inigo décida que ça n'avait que peu d'importance, que ça rejoignait ces trucs dont tout le monde se fichait ; ça lui simplifiait grave la vie de ne pas forcer sa compréhension de choses qui le dépassaient. Il haussa de ses épaules un rien trop sèches planquées sous un sweat encore taché de cambouis. Y avait qu'en piquant les fringues de ses colocs qu'il parvenait à avoir des vêtements qui faisaient pas mécano.

« Chais pas, de tout, de rien. Comme sur l'appli, quoi. 'fin si tu commences pas à causer de trucs chelous. »

De ses yeux verts, de chat, il vérifia s'il y avait pas quelque part une place où se tenir mais vraisemblablement les derniers cm carrés dispo étaient planqués avec le propriétaire des lieux derrière le comptoir ; et Inigo tenait pas à s'approcher autant d'un mec qu'au final il ne connaissait pas.

« T'rigoles, c'est une caverne d'Ali Baba ton truc. Y a des tonnes de choses, partout y a des trucs j'sais même pas à quoi ça sert. »

Il leva le nez pour considérer une chaise perchée tout en haut d'un tas de bordel, d'un goût fort douteux mais qui aurait fait une super arme dans un contexte de guérilla urbaine.

« Hm ? J'me rabaisse pas. Chuis conscient d'mes points de force et d'faiblesse c'est tout. »

« Suffit d’un peu d’imagination. » T’hausses les épaules, soupirant et abaissant les yeux et le nez vers le sol de ta boutique, avisant la propreté plus que douteuse une fois de plus – en réalité le lino en fausse imitation parquet ressemblait à présent à une imitation gris trottoir des plus réalistes. « Ah ouais ? Raconte, alors. » Tu te recules, tu cherches dans ce qui traine derrière comptoir avant de poser une bol plein de cacahuètes, chips et autres restes qui avaient vu passer plus de mains que ce que le CDC n’autorisait à contenir dans un aussi petit espace et tu l’indiques du menton à Inigo. « Sers-toi, vas-y, j’t’écoute. Par cont’, j’t’arrose pas, la boisson, j’te sers que si t’as un verre. »

« Ah ouais mais ça j'en ai pas beaucoup paraît », fit Inigo tout en s'avançant un peu plus façon animal sauvage pénétrant le territoire d'un autre.
Billy avait l'air de vraiment se faire chier et c'était très déstabilisant parce qu'Inigo n'aimait pas cette impression de déranger ouvertement quelqu'un ; il contint sa nervosité en se disant que si vraiment il l'emmerdait, nul doute que le trafiquant du 10ème saurait le lui signifier et pas forcément très poliment. Un truc sans sous-entendu qu'il comprendrait à coup sûr, quoi.

« Chuis bon en mécanique et j'me démerde en pilotage de moto mais j'crois pas que ça t'intéresse des masses ? Ah chuis doué avec les animaux aussi, semblerait. »

En tout cas tout le monde était très impressionné des progrès d'Alteza depuis qu'il l'avait tirée du refuge, mais c'était son premier animal. Son regard vert pétilla avec amusement :

« Et si je t'achète un verre ? »

« Quand on est BG, y a pas besoin d’être trop intelligent ou imaginatif, ça ferait trop dans z’un seul corps, ouaip. » Tu fais toujours risette, reposant ton menton dans ta main, observant derrière tes doigts trop longs qui tapotent ton nez dans un rythme lascif. « Y a pas trop d’animaux dans l’coin pi bon, j’pas trop la place par ici pour d’la mécanique mais si t’as d’quoi refaire des soudures et tout ça, j’peux b’en t’trouver une utilité. » Le mec est déjà mûre comme un coing, y a moyen que tu puisses lui soutirer quelques avantages contre une paie misérable ou un peu de nourriture. « Bah ! J’ai pissé y a pas long dans une bouteille. » Tu arques les deux sourcils pour l’inviter à essayer, souriant toujours derrière la cage qu’étaient tes doigts. « M’bon. T’es distrayant, j’te le remplirais d’un truc pas trop toxique. » T’as bien quelques fonds de cuve qui trainent, de l’alcool qui rendrait probablement aveugle toute personne un peu trop saine mais qui convenait tout à fait aux pochtrons en fin de soirée. « Choisis z’en toi un, ils sont. Euhm. Deux étagères à ta gauche. » Il y avait de tout, de la chope stylisée avec un nom et un lion kitsch stylisé à la tasse art-déco et au verre à moutarde avec des dessins d’une mascotte à la mode il y a bien 20 ans.