High Rise

« MAIS C’EST ELLE ! » que tu hurlais en guise d’introduction, ignorant le propriétaire de la chienne qui s’approchait. Tu lui tournais déjà autour, la stressant probablement plus qu’autre chose mais s’il y a bien une notion de savoir vivre que tu avais appris au cirque, c’était qu’il ne fallait pas toucher une bestiole sans l’autorisation du dresseur. Tu relevais alors la tête, quasiment à bout de souffle tellement tu étais excité. « Je peux lui faire des papouilles ? ELLE VA BIEN ? ET TOI ? COMMENT CA VA ? » Tu avais sauté du banc sur lequel tu étais assis, sans faire attention à la mine outrée des deux petits vieux à côté de toi qui avaient vu leurs pigeons s’envoler – ou ce qu’on peut y assimiler vu la masse corporelle de ces bestioles – vers d’autres cieux. « C’est moi ! Oh mais t'es carrément aussi bg que ta chienne, woah woah woah. »

Inigo n'avait aucune idée de l'allure de la personne qu'il devait rencontrer, même si à cause des caps lock il l'imaginait bruyante et enthousiaste. Il suivait sa chienne qui remontait une petite allée du parc en trottant dans un flottement de poils de rêve, ignorant parfaitement les sales gosses qui voulaient la toucher ou les mères de famille qui effleuraient parfois lourdement du regard son propriétaire.
Ini fut pas déçu parce qu'une espèce d'échalas vibrant d'énergie bondit en travers du chemin de la Samoyède qui eut plusieurs aboiements aigus d'affilée, le pompon battant l'air, apparemment contaminée par la surexcitation de l'inconnu.

« Elle a l'air », fit remarquer le mex, un sourire amusé aux lèvres, « ouais vazi elle a l'air de bien t'aimer. T'es chanceux d'hab elle supporte que moi. »

Et elle défendait d'ailleurs jalousement l'affection de son humain, ce qui faisait que nombre des connaissances d'Inigo lui filaient à bouffer pour avoir la paix et pouvoir l'approcher sans se faire grogner dessus.
Il eut un petit rire :

« Ouais ça va merci, et toi ? Tu finis le tour avec nous ? »

Difficile de savoir qui nourrit l’excitation de l’autre ou si vous vous alimentiez mutuellement tous les deux, jeune chien fou et belle bête soyeuse, t’étais très occupé à lui faire la fête et recevoir la sienne pour te concentrer très longtemps sur son propriétaire qui venait de te donner le feu vert. « On peut même carrément en faire un deuxième ou un troisième ! » Tu relâches enfin la chienne et son pelage dans lequel tu as enfoncé ton visage pour lui faire des papouilles et des bisous. Tu lui flattes le flanc et tu trottines en avant, en arrière, restant à peu près à la hauteur de Cobra. « T’as genre la place pour elle dans ton appart’ ? Tu dois être des étages du haut ? J’t’ai jamais vu pourtant dans les vitres, mecs ! »

C'était amusant, pour Inigo, de voir sa chienne si excitée ; étant d'un caractère plus posé (c'était pas dur) voire timoré (pas dur non plus) qu'Alwin, il ne l'excitait pas comme ça quand il interagissait avec elle.

« On va ptêt avoir besoin d'un deuxième tour, ouais », fit-il en observant la chienne bondir genre nuage content, avec un sourire amusé. Il secoua vaguement la tête : « Nah j'suis dans ceux du dessous mais elle vient bosser avec moi, elle a toute la place qu'il faut au garage. »

Il prit l'air aussi surpris qu'il pouvait l'être avec son bitch resting face de compet.

« Dans les vitres ? »

« Mais son poil est pas genre super sali par l’huile et tout ce qui traine dans les voitures ? » Tu te calmes à peine, super occupé à palper le poil blanc et duveteux de cette créature de rêve – si ce n’était pas interdit pas plusieurs lois, tu aurais probablement déclaré ta flamme à cette bestiole. Malheureusement, il fallait te contenter du propriétaire. « Bah. Ouais, je nettoie des vitres, quoi ? C’est pas DANS les vitres mais derrière les vitres, tu vois ? Moi j’peux pas emmener le chien en haut parce qu’il risque de tomber et de mourir ! » Il te faut une dizaine de secondes avant de plisser les yeux. « Mais t’inquiète, j’suis pas euh… fin j’espionne pas comme ça, quoi. Puis surtout pas dans les bas étages. »

« Elle est super intelligente Alteza », fit-il avec son inimitable accent de Los Mochis, genre racaille mexicaine, « elle traîne pas dans l'huile ou sous les bagnoles ! Y a que moi qui fais ça. »

Il perdit son expression totalement interloquée quand Alwin expliqua qu'il nettoyait les vitres, la compréhension se faisant dans son petit esprit :

« Aaah ! Oh putain j'y étais pas. 'ffectivement c'pas facile d'emmener un chien dans ces conditions. Mais t'as bien un animal, non ? T'as l'air de beaucoup aimer. »

Pour un mec aussi jaloux de ses expressions qu'Inigo autant d'enthousiasme bondissant était déstabilisant (encore qu'à force de fréquenter Elmer qui était pas mal non plus dans le genre l'avait un peu habitué).

« Pff moi j'pourrais pas m'empêcher de regarder à ta place », avoua-t-il sans fard. « Enfin après être mort deux trois fois de vertige ! »

« Son Altesse ? C’est carrément trop bien comme nom. Ca lui monte pas à la tête ? » Tu continues à flatter la bête de temps en temps, fasciné par son beau poil et sa beauté. « Bah ouais mais t’es aussi net qu’elle, quoi, on dirait pas ou alors genre l’huile c’est comme pour la cuisson, ça aide à ce que tu t’brûles pas les ailes ? » T’enfonces finalement tes mais dans tes poches pour arrêter d’emmerder cet animal ; même tactile, on finit par se lasser des caresses, peu importe la provenance. « J’ai un ou deux cafards je crois, enfin ils sont à ma voisine, j’passe souvent chez elle. » Déso pas déso Gail. « Même si c’est une fille super au point et intelligente et sympa quand tu passes derrière la couche de sarcasme, t’vois ? » Tu caches pourtant cette phrase entre deux rires qui se poursuivent après la dernière déclaration de ton date (ou ton co-promeneur). « Bah ! J’t’avoue que je le fais aussi, en même temps on peut pas faire autrement, faut bien ça pour vérifier que c’est tout propre à l’intérieur. J’t’assure y a de ces trucs qui trainent parfois ! Bon, ça te dit on va prendre un truc chaud au vendeur là-bas ? Genre un café, quoi ? »

« Elle a d'jà la tête montée pour être honnête », répondit-il, désignant sa chienne d'un coup de menton, « r'garde-la, comme elle est certaine de plaire au monde entier. »

Ah Alteza avait beaucoup plus de caractère que son maître, et c'était bien pour ça qu'ils s'entendaient bien ; deux divas dans la même famille, c'était notoirement trop, certains pouvaient en attester. Il rit :

« J'me douche moi, mais c'juste que j'porte des gants et t'as pas vu les dégâts sur les mains », il sourit amusé, « me brûler les ailes à quoi, au juste ? »

Il était marrant ce mec à sautiller partout avec trop d'énergie, mignon un peu même, si on aimait le genre enthousiaste. Il fronça du nez dans son écharpe :

« Des cafards ? Ça doit être vachement moins affectueux qu'un Samoyède », sans déconner Einstein. « Ah j'tais sûr que tu pouvais pas t'en empêcher. Vazy raconte c'tait quoi le pire que t'aies vu ? Yep, j't'invite », il infléchit sa trajectoire pour rallier le vendeur de café, appelant Alteza d'un léger sifflet entre ses dents.
La chienne le suivit sans faire de difficulté, dans un petit trot qui faisait flotter son poil façon nuage mouvant.

« Bah elle a raison d’le penser, elle plait à tout le monde, hein la toute belle qu’tu plais à tout l’monde ? Hein que oui ? » Tu continues encore de faire la fête au chien, toujours plus ravi de voir que la diva accepte ta présence et tes compliments, tel un laquais servile mais bourré d’ambition et de bonnes intentions. « Tu devrais pas croire ça, c’est super affectueux un cafard, trop même. Genre ils veulent tout partager, le lit, la bouffe, la douche, ton nez, ton corps. J’suis sûr que s’ils avaient la taille pour ils auraient aucun scrupule à faire du vol d’identité. » Y avait toujours eu des petites bêtes partout où t’allait, surtout avec les animaux mais pour éviter les incidents, il fallait que tout soit toujours propre, impeccable et les nuisibles ne faisaient généralement pas long feu. Tu avais entrepris de faire une guerre acharnée à ceux que tu avais croisés dans les différents squats et logements où tu avais habité, tout ça à grands renforts de cris stridents et de larmes viriles.

« Oula, j’suis sûr qu’j’ai pas encore vu le pire, mec. On a jamais vu le pire. Par contre j’en ai vu du sexe exhibitionniste et pas que entre monsieur et madame si tu vois c’que je veux dire. Bon, puis y a les appartements du haut où franchement, y a pas que leur vitre que faut récurer, c’même la chose la plus prop’ ! Puis… » Il regarde, à droite, à gauche, la chienne. « Sans sucre, le café. Y a genre un appart’ où y a un mec et une vieille et la vieille, j’te jure elle a jamais bougé, ça m’étonnerait même pô qu’elle soit empaillée en vrai. »