High Rise

Le commun des mortels trouverait sans doute des tas de choses à reprocher à ce squat. A commencer par le manque évident d'intimité. Partager sa chambre avec deux ou trois autres nanas, ça peut en déranger certaines. Et puis l'appartement a beau être grand, on est assez nombreuses pour rapidement se marcher dessus. Mais cet appartement possède une chose qui me remplit de joie : une superbe cuisine. Elle est ouverte sur le reste de la pièce commune, avec un grand îlot central qui me permet d'étaler mes créations sans mal, et même, attention... Deux fours. Rien de plus pratique, très honnêtement je ne pourrais pas demander mieux. 

La porte d'entrée n'est pas fermée à clé, et je tourne le museau vers cette dernière lorsqu'elle s'ouvre sur la silhouette encore légèrement endormie de Storm. Dans un sourire, je désigne les muffins tout juste sortis du four que je viens de déposer sur le plan de travail. « Connectés, tu parles. C'est l'odeur de la brioche chaude qui est parvenue jusqu'au onzième étage ? » Je roule des yeux, amusée. « Si tu veux manger faut d'abord me filer un coup de main. » Quoi ? On est dans une colocation collaborative ici. Je désigne le saladier dans l'évier. « Tiens, tu fais un peu de vaisselle, et je te prépare un goûter digne de ce nom. Enfin, vu ta tête... Je dirais un petit-déj. »

Mes lèvres s'étirent en un sourire mutin, et je hoche doucement la tête. « Envie de me voir, bien-sûr, j'en doute pas un seul instant. Moi aussi, j'avais envie de te voir. » J'ai toujours envie de voir du monde, cela dit, la solitude ne me sied pas, et ce n'est pas au Septième Ciel qu'on peut réellement espérer être seuls. Il y a, ici, toujours du monde, mais aussi toujours quelque chose à faire. D'ailleurs Soeur Timothée ne doit pas être bien loin, sans doute à surveiller que le jeune-homme qui vient d'entrer n'a pas l'intention de souiller ma vertu, ou quelque chose dans ce genre-là. J'ose espérer qu'elle sera plus sereine en réalisant que je nous ai trouvé quelqu'un pour faire la vaisselle !

« Mais voyons tu as toujours le choix. Tu peux choisir de ne pas goûter mes délicieux muffins. » Je n'ai même pas besoin de papillonner des cils qu'il retrousse déjà ses manches, parfait. « Tu sais bien que j'fais jamais semblant. C'est pas grave, tu viens d'te lever. La nuit a été mouvementée ? » Tandis qu'il s'occupe de la vaisselle, je dépose des pépites de chocolat sur une autre fournée de muffins, avant de les glisser dans le four à leur tour, et d'enclencher une nouvelle minuterie. « Oh ben oui, ce serait adorable. Tu veux un café ? »

Un nouvel éclat de rire passe dans mon regard, et je secoue doucement la tête. « Ton énergie est précieuse ? Fais gaffe à toi, alors, parce que je crois bien que ce qu'il y a dans ces muffins-là risque de te rendormir un peu... » Il m'arrive, ne vous méprenez pas, de faire des pâtisseries qui ne soient pas à base de substances psychotropes. Aujourd'hui, en l'occurrence, j'ai fait deux fournées, une de muffins normaux (et donc tristes, si vous voulez mon avis) et une autre de muffins supposés vous détendre. Ai-je l'intention de dire à Storm lesquels sont ceux qui ne lui feront rien ? Je ne sais pas encore. 

Je hoche la tête d'un air entendu, sans l'interroger plus avant parce qu'il ne semble pas vouloir donner de détails sur sa soirée, et je n'ai pas envie d'insister. Je fais couler deux cafés, dont un très long pour moi, que je verse dans un bol et rallonge encore avec du lait. Je lui tends sa tasse dans un sourire. « Je suis allée faire les boutiques, ce matin, j'avais besoin de nouveau matos pour la cuisine, et j'ai trouvé de nouvelles bombes de peinture aussi. » J'aime me balader seule, pour faire ce genre d'emplettes, parce qu'alors je peux flâner sans embêter personne.

Soeur Timothée tombe toujours à point nommé, et je savais qu'elle était dans les parages, elle l'est toujours dès qu'une présence masculine passe cette porte. Elle doit avoir un détecteur, quelque part. J'étire un large sourire à la voir débarquer, pas gênée un seul instant par sa présence. Les hommes sont toujours un peu mal à l'aise quand elle est là, ce n'est certainement pas mon cas. 

« Ca arrive. » Je prépare un café pour Tim, et m'écarte un instant de la cuisine pour le lui apporter, c'est toujours plus sympa si on est trois à se brûler la langue. « Y a une fournée de gâteaux qui arrive, aussi. » Aujourd'hui, j'ai fait simple, je ne teste pas des recettes pour le Wonderland, je ne suis pas en quête de nouveautés rocambolesques et foutrement compliquées à réaliser. Non, j'avais juste faim, et une irrépressible de nourrir tout l'étage en sucre. 

Je dodeline de la tête, amusée, en revenant vers Storm. « Ah je pourrais pas t'emmener avec moi si tu racontes des bobards à Timothée. » Je mords un sourire, m'adosse au plan de travail. « T'as envie d'aller faire les boutiques ? »