High Rise

Suspendu à plusieurs dizaines de mètres du sol, on a tendance à se considérer comme très prosaïque, à la limite d’avoir les pieds sur terre. Toi ça t’allégeait le cerveau, t’avais d’un coup moins à penser, comme un ballon qui monte, monte, puis fini par se vider pour aller s’éclater en bas. Au 36e étage, t’étais toi-même au 36e ciel et tu observais avec fascination tous ces corps à demi-nus dont tu admirais la plastique originale, souvent peu avantageuse mais toujours unique. Peu de gens essayaient d’attraper ton regard, tu faisais partie du décor et ceux qui te savaient consciemment là étaient gênés par ta présence, une lutte des classes ou le voyeurisme latent étaient les deux réponses favorites.

Un regard – ou du moins une tête – était pourtant tournée vers toi. Voyant là le seul moyen de communiquer avec quelqu’un – tes collègues t’avaient intimé de limiter tes échanges au strict professionnalisme, notamment depuis que tu leurs avais demandé ce qu’ils pensaient de la naissance de jumeaux lors d’un changement d’heure. Tu cessais de racler la vitre, essayant de t’assurer que le gros baraqué devant toi n’était pas juste en train de se dissocier mais plutôt en train de t’admirer faire ton travail – l’inverse étant vrai, tu passais toujours un temps fou à la piscine à admirer le corps de bodybuildeur bien musclé de certains des habitants du Square et de notamment de l’employé de la piscine. Après quelques secondes, tu trempais dans ton seau ta raclette et tu dessinais maladroitement un cœur, suivi d’une bite et pour finir un point d’interrogation.

La fraîcheur de l'hiver emplissait la piscine de nageurs et de nageuses. Si l'absence de proximité d'une école primaire épargnait à l'équipe la tâche ingrate de la gestion des scolaires indisciplinés, les parents épuisés qui ne savaient pas quoi foutre de leurs mioches en ces temps où le climat accablait leurs bronches en maladies chroniques gratifiaient Harley de la présence de leur délicieuse progéniture. Ce dernier, prévoyant le coup, avait renforcé la présence de ses équipes et le regard des plus curieux utilisateurs se dirigeait aujourd'hui sur les pectoraux de Rossi et les seins de Triumph. Harley était relégué au rang de meuble jusqu'à ce qu'il se mette à gueuler qu'on ne courait pas autour de la piscine, et ça lui allait très bien.
Il était en train de discuter avec une habitante du 24e, une gonzesse incroyablement bien renseignée sur les potins de l'immeuble et qu'il n'aurait pas voulu avoir comme ennemie, quand sa vision périphérique fut attirée par une silhouette au dehors.
Oui, au dehors. Au 36e.

Perdu dans le flot de paroles de la dame, il n'avait pas tout de suite compris que ce mec était un employé qui savait parfaitement ce qu'il faisait et non un cascadeur suicidaire. Ce ne fut que lorsqu'il le vit dessiner un cœur puis un phallus un peu potelé qu'il manqua, bon public, d'éclater de rire. Pour ne pas vexer l'habitante il attendit qu'elle tourne la tête pour tourner la sienne vers le gars et mimer, du bout de sa langue planté dans l'intérieur de sa joue, une fellation bien sentie.

Heureusement que tu avais la vue de l’aigle, l’œil du lynx, l’acuité du sniper avec sa lunette – non en vrai tu t’étais collé à la vitre pour pouvoir faire ce que foutait ton gros baraqué. Tu agitais les sourcils d’une manière que tu avais toujours pensé séductrice mais qui selon certains de tes amis tenait plus de la convulsion faciale. D’un coup de raclette, tu effaçais les quelques postillons que tu avais mis sur la vitre – et ton sébum – ainsi que le phallus et tu t’essayais à représenter une tour de quelques coups maladroits, laissant le point d’interrogation sur la vitre. Finalement tu jetais métaphoriquement l’éponge – ce serait con d’exploser la gueule de quelqu’un 36 étages plus bas parce que l’eau dans celle-ci avait gelé. La physique n’était pas ton fort, ni même la biologie, toi t’étais plus du genre pratico-pratique et à te baser sur l’instinct.

Tout en gardant un œil sur le bonhomme, tu t’éloignais pour avancer ton travail – ça caillait quand même grave à cette hauteur en hiver et tu avais bien hâte de retourner en intérieur. Des coups de raclettes énergiques et efficaces – des mois de travail pour en arriver à une technique rodée – te permirent de passer à un autre niveau avant qu’on ne vous fasse descendre en raison des risques provoqués par un vent un peu trop important. La journée globalement finie – ça fait des jours que tu te dis qu’il faudrait que tu te trouves un boulot d’appoint mais que tu procrastines dans tes recherches pour aller plutôt admirer la porte de l’élue de ton cœur – tu te préparais pour faire tes exercices quotidiens. Un corps en forme et puissant nécessitait une attention constante de l’entrainement physique et des apports nutritionnels ; c’était bien un des domaines dans lesquels tu pouvais briller, l’hygiène de vie – bien que tu te permettes tout de même quelques clopes et un peu d’alcool de temps en temps.

Tu montais les 36 étages à pieds, ta serviette multifonction sur l’épaule, des tongs aux pieds et en short de bain – qui servait surtout à montrer ta plastique plutôt que pour la nage, tu n’étais pas un grand fan de natation (tu ne savais pas vraiment nager, il faut dire). Le regard des quelques autres locataires que tu croisais dans l’immeuble étaient surtout dubitatif voire un peu outré mais tu préférais mettre ça sur le compte d’une envie et de ton sex appeal. Arrivé dans la piscine, tu ôtais tes tongs pour entrer dans le pédiluve -iik iik iiiiiik – et tu entrepris de prendre une pose avantageuse une dizaine de secondes – jusqu’à qu’une personne souhaitant sortir te pousse en soupirant.

Les tongs autour des poignets, tu t’approchais à pas de chats jusqu’au gros baraqué et tu te postais devant lui lâchant un « Heyyy » dans la voix la plus glamour que tu pouvais produire. « Excuse-moi, je suis perdu, tu peux m'indiquer le chemin qui mène à ton cœur? »

De la même manière que le hurluberlu des vitres, Harley retourna bientôt à ses affaires. Passée l'heure de fréquentation habituelle, les cris répercutés contre les vitres baissèrent d'un ton pour le plus grand bonheur des tympans du maître nageur. Il venait de foutre dehors sans sommation des dealers d'herbe sans s'encombrer comme Rossi d'un petit sourire charmeur pour faire passer le message plus simplement, quand le laveur de vitres, aussi bien foutu que l'avait laissé entendre sa cabriole derrière la vitre, se pointa pour le charmer d'une manière toute particulière.
Le regard sombre de Harley descendit très bas.

-Tiens donc, on me l'avait jamais faite celle-ci.

Et pourtant il en avait croisé des tombeurs mais il fallait croire que la plupart d'entre eux tombaient justement devant une taille et une carrure qui lui donnaient l'air antipathique (alors que pas du tout en plus ! Fallait juste pas le faire chier). Le regard de Harley s'assortit d'un coup de menton réprobateur.

-En tout cas la porte est par là jeune homme : on accepte pas les shorts de bain, c'est marqué en gros sur la porte. Tu as fait les yeux doux à Mercedes pour qu'elle te laisse entrer, c'est ça ?

Ça ne ressemblait pas à Mercedes mais tout était possible quand on venait de faire virer deux mecs qui se baladaient avec des feuilles de cannabis dans les poches comme s'ils espéraient une fois dans l'eau que tout ça allait infuser pour qu'ils se fassent un petit thé. Harley était lui même assorti d'un moule bite du plus bel effet qui ne lui plaisait pas des masses mais auquel il avait fini par s'habituer au fil du temps comme il le faisait avec toutes les contraintes que la vie lui avait imposées selon ses activités professionnelles.
Il jaugea le visiteur qui devait avoir 25 piges tout au plus ; pour se pointer en face d'un mec de sa taille sans le connaître en violant le règlement et en laissant affirmer qu'il pouvait être attiré par les gars (même si c'était vrai), fallait avoir un sacré culot.

« Oui, j’ai vu la porte ! » Tu pérores fièrement, toujours ravi de pouvoir mettre en avant tes capacités d’observation rodées par des années d’observation timide et de décorticage anxieux du public. « Euh. Je sais pas c’est qui Mercedes mais j’te voyais qu’toi aussi faut dire. Pas que parce que euh… t’es massif. Mais tu vois. » Tu lui fais un clin d’œil appuyé, te plaçant en chiasme pour mettre en avant ta plastique. A côté de quelques bodybuildeurs qui s’assèchent au point qu’on puisse voir tous leurs muscles et leurs six packs, tu entretiens ta santé en t’hydratant correctement, ce qui te fait rapidement complexé lorsque l’élu de ton cœur présente une attirance prononcée pour quelques bellâtres bien musclés. Tu rentres inconsciemment ton ventre pourtant plat en espérant pouvoir présenter tes pectoraux. « Hein. Quoi ? Mais… j’ai pas de slip moi… enfin pas de slip de … bain. » Tu fronces les sourcils. « J’peux pas prendre un slip normal ? Ou tu peux pas m’en prêter un ? »

Le regard sombre de Harley s’adoucit ; ce gamin n’avait rien de méchant, c’était tout au plus un mec un peu original, pas spécialement con, qui prenait les choses somme tout un peu légèrement sans faire réellement de mal à personne. Le genre de gusse qui enfreignait les règles en donnant l’impression de ne pas les connaître, se disant qu’au mieux ça passait et c’était cool, au pire ça cassait et c’était pas grave. Harley baissa les yeux sur la plastique du jeune homme, mise en évidence par sa presque nudité, et bien entendu qu’il le trouva fort bien sculpté, mais il avait moins de la moitié de son âge, au moins, et si un tel désir avait pu se manifester, ils restaient dans un lieu public où tout pouvait être vu et entendu.

« Je vois. » confirma-t-il. « Tu n’es pas mal non plus. »

Il venait de prendre le risque que le gamin crie au harcèlement sexuel et au balance ton porc, allant hurler sur Twitter qu’il avait été menacé par une montagne de muscle en pleine possession de ses moyens et de son autorité ; cette situation l’effleura, et il reprit contenance avec une obscurité certaine au coin du regard, soudain plus sévère.

« Tu viens à la piscine sans slip de bain ? Pour quelqu’un qui a l’air de faire attention à son hygiène de vie t’as pas l’air d’être effleuré par les normes d’hygiène élémentaires. Ton froc doit se trimballer plein de microbes. » fit-il remarquer avec un certain mépris. « On doit en avoir dans les objets trouvés, si j’te file un des miens tu vas nager dedans, gamin, t’as pas assez de paquet pour ça. »

Il lui adressa un clin d’œil, indiqua à Rossi qu’il devait arrêter de draguer les minettes cinq minutes et prendre sa place pour surveiller le bassin olympique, et montra du doigt le chemin à Alwin vers les locaux réservés aux employés.

« Vas-y, j’te suis. »

Tu bombes le torse fièrement, chaque compliment te fait l’effet d’un baume, d’un shot d’alcool, d’une drogue quelconque – si tu étais du genre à te droguer. Tu acceptes tout et tu t’imagines encore plus à chaque fois. Le rouge aux joues, les oreilles rosies, tu as un sourire trop large qui ourle la commissure de tes lèvres. Puis finalement, c’est la honte qui te fait prendre d’autres couleurs, te faire rabrouer ainsi… Putain, t’as pas de kink masochiste, tu te sens nerveux, niais, un peu mal à ta place et tu perds de suite ta risette. « Bah… » Tu le suis d’une démarche souple, tu gardes la voix basse. « En fait j’sais pas nager, c’pour ça que… tu vois… j’ai pas de maillot quoi.. » T’es super gêné de le dire mais faut bien justifier ton erreur précédente. T’es le genre de mec à enchainer les roulades quand tu tombes en espérant que ça passe suffisamment pour qu’on pense que c’était voulu de marcher sur tes lacets défaits. « Puis c’est pas le paquet qui compte dans la taille, mec. J’veux dire j’sais bien que si les boules c’est les fêtes de Noël, le gland c’est censé être le Réveillon, c’pas forcément une grosse dinde, tu peux très bien passer une bonne fête sans la fourrer… quoi… » Tu pousses la porte des vestiaires, ayant dépassé le gros baraqué de ta démarche de chat assurée, bienheureux d'éviter la glissade par quelques coups de reins biens ajustés. « Au fait, t’as pas de badge, comment que tu t’appelles ? »

Loin de se moquer, Harley haussa les sourcils.

-Ah mais fallait le dire tout de suite ! Je comprends mieux.

Il longea la piscine après s'être assuré que Rossi s'occupait véritablement de la sécurité du bassin entier et pas uniquement de celle des jeunes filles en détresse, puis suivit le jeune homme dans la pièce qu'il lui indiquait non sans porter attention au dessin de son dos qu'il trouva admirable pour cette jeunesse affirmée. Soit le gamin avait un métabolisme de fou, soit il avait un entraînement bien spécifique qui ne le faisait pas gonfler comme un Michelin à la moindre activité physique un peu trop prononcée.

-Harley, pourquoi ?

En général tout le monde savait comment il s'appelait parce que sa réputation le précédait mais il fallait bien commencer quelque part.

-C'est vraiment, genre, la première fois que tu viens ici ?

Il poussa une nouvelle porte réservée au staff des lieux et ils pénétrèrent dans la salle de pause des maîtres nageurs, d'une propreté chirurgicale malgré la possibilité de s'y restaurer.
Il descendit alors d'une étagère un grand coffre de plastique qu'il déverrouilla d'une pression ferme de la main. Il révéla alors son contenu, aussi fourni qu'hétéroclite.

-Tu devrais trouver ton bonheur là dedans !

Y a pas de grand éclat de rire, pas de moquerie, pas de regard en coin et ça te rassure suffisamment pour que tu bombes le torse. « Moi c’est Alwin ! Bah, c’mieux de savoir le nom des gens, nah ? J’vais pas t’appeler Le Gros Baraqué De La Piscine ? Ca fait pas trop intimiste avec mes potes, tu vois ? » T’avais déjà largement de quoi dire aux 6 autres nains sur cette rencontre que le nom d’Harley n’était qu’une anecdote sans réelle importance mais tu tiens absolument à pouvoir le situer facilement par un nom plutôt qu’une description imagée qui ferait que tes camarades le confondraient rapidement avec le bestiaire de tes conquêtes. « Ici ? Bah euh oui. ‘fin j’avais déjà vu de l’extérieur et j’ai utilisé une fois les douches mais j’suis jamais allé dans le bassin, y a les escaliers et la salle de sport pour… bah… le sport. » Sans complexes, tu ôtais ton slip pour essayer un des slips de bains trainant dans la boite probablement depuis suffisamment longtemps pour avoir une conscience. « Vous les lavez ? » Demandes-tu en glissant une jambe dans l’un des trous. « Vous les revendez les autres ? »

« Et pourquoi il faudrait que ce soit intimiste ? Tu as fait un pari avec tes potes peut-être ? »

Ce serait pas la première fois qu’il était confronté à cette situation et même si ce n’était pas grave il trouvait ça très blessant. Il laissa le jeune homme fouiller en se détournant, non sans bien sûr avoir jeté un coup d’œil au petit cul musclé qui se dénudait. Il sortit de la pièce pour lui laisser un semblant d’intimité parce que quand même il était en infraction mais on était pas chez les flics.

« Bien sûr qu’on les lave, en même temps avec le chlore y’a peu de risques de bactéries, mais on sait jamais. Dans tous les cas ça sera toujours un plus petit réservoir de cochonneries que ce avec quoi tu t’apprêtais à rentrer dans le bassin. »

Il secoua la tête.

« Non, on les garde pour les gens comme toi, et ils sont plus nombreux que tu le penses. Faut dire que revendre des maillots de bain déjà utilisés, à part sur le marché noir, c’est pas très lucratif. Ceci dit si t’as envie de te lancer je peux te revendre la cargaison, tu pourras peut-être t’acheter un slip digne de ce nom qui te... »

Il haussa un sourcil.

« Moule pas autant la bite. »

« Euh. Bah non, ce serait pas cool, mec. Moi j’trouve que se moquer des gens c’est manquer d’amour. » Tu sautes dans le maillot, tirant un peu sur l’élastique, puis sur le tissu pour te libérer la raie des fesses. Après avoir tenté d’ajuster la chose qui puait le chlore et avoir abandonné – après tout, peut-être que cette sensation collante faisait partie de l’accoutrement, de ce que tu avais pu voir à la télé ou chez les autres nageurs c’est qu’il fallait que ce soit … près du corps. Tu baissais le regard sur ton bas-ventre et relevais la tête vers Gil. « Quoi ? Fallait pas me donner du 6 ans ! » Tu tirais une nouvelle fois dessus pour te libérer de cette sensation d’étouffement que tu n’avais vécu qu’en enfilant par erreur des sous-vêtements trop petits pour toi. « Bon, on y va à la nage ou on s’admire mutuellement le paquet ? » De toute façon, persuadé que cette vision des choses était plutôt une vitrine à ton avantage, tu indiquais d’un signe de tête les bassins se trouvant non loin. « Je commence par quoi, alors ? Je vais dans l’eau ou je dois apprendre des gestes ou y a quoi ? »

« Les gamins de six ans n’oublient jamais leurs sous-vêtements, les daronnes sont bien trop précises dans la gestion de leurs stocks pour ça. » ricana Harley.

Il n’y avait rien de pire qu’une maman ou un papa qui se rendant compte que le gamin était rentré sans ses affaires pourtant précisément étiquetées, débarquait comme une furie dans le coin en faisant le tour de tous les locaux jusque dans le dernier casier verrouillé pour retrouver ce qu’ils avaient acheté quatre pauvres dollars ; car déjà que le loyer était putain de cher ici, la plupart regardaient le moindre petit centime s’échapper de leurs poches – et les plus riches se contentaient de leur baignoire de salle de bains, plus grande, plus propre, plus chaude, avec une belle vue sur cette ville de merde.

Il se retourna pour considérer l’adolescent, saisit la caisse des vêtements oubliés, la referma et la remit à sa place.

« Ca va se détendre dans la flotte, fais pas ta mijaurée. Les cours de natation adultes c’est le samedi matin à huit heures, en attendant tu peux aller barboter dans le plus petit bassin, là tu auras pieds. Sinon tu demandes à Rossi, le bellâtre sur le bord de la piscine, s’il peut t’apprendre deux-trois trucs, il en sera ravi de faire le beau. Bon par contre, tu feras gaffe, il a tendance à draguer tout ce qui bouge. »

« Ptain on a pas eu la même maman. » Tu te frottes le menton, imberbe à ton grand désespoir – les gens te donnent régulièrement 5 ou 6 ans de moins que ton âge réel et te traitent comme si tu en avais 10. « Quoi que… en fait c’était à nous de gérer les stocks et elle faisait l’inspecteur des travaux finis. Si on gérait mal, elle s’assurait qu’on oublie genre plus jamais, tu vois ? » Tu n’en gardes pas de réels mauvais souvenirs et ça t’a assurément permis d’appréhender avec plus de facilités la séparation déjà bien difficile avec le reste de la famille.

« Quoi ? Mais toi, tu fais quoi ? » Ton œil aiguisé cherche déjà le fameux Rossi, prêt à te jeter cœur et âme dans les bras d’un bellâtre si clairement encensé par le mastodonte à tes côtés. « Genre toi tu donnes pas de cours ou tu peux pas me montrer les bases ? Y a que Rossi qui sait faire ça ? Ca coûte quelque chose les cours ou c’est gratuit ? » Tu mets tes deux mains sur tes hanches pour te grandir autant que pour pouvoir mettre en avant ton torse, il parait que ça allonge la silhouette, déjà bien grande.

« Etant donné notre différence d’âge ce serait particulier si ça avait été le cas. »

La mère d’Harley n’avait eu que le grand gaillard que Alwin avait devant lui, et c’était mieux comme ça. Harley n’en avait jamais souffert et avec toutes les conneries qu’il avait faites durant son adolescence et le début de sa vie d’adulte il préférait ne pas avoir à supporter des commentaires comme quoi l’autre ou les autres auraient été meilleurs que lui et qu’il aurait pu donner l’exemple quand même, putain.
Il voyait ça suffisamment tous les jours à la piscine pour savoir qu’il n’avait pas envie de le vivre.

« Je vois parfaitement. On a peut-être eu la même mère finalement, tu vois. »

Il éclata de rire, un rire grave qui aurait pu paraître menaçant mais qui laissait juste voir son hilarité.

« Moi, je fais en sorte que personne ne se tue, c’est important, tu vois. »

Il leva les yeux au ciel devant l’insistance du jeune homme qui en plus d’être bel homme avait le culot d’insister. Il calma son rire, passa à son côté pour lui tapoter l’épaule et se pencher à son oreille.

« Garçon, si tu veux me draguer, fais-le en dehors de mes heures de travail, d’acc ? Reviens samedi matin, et le cours d’essai est gratuit. »

« Quoi ? Mais tu me donnes quel âge ? » Tu demandes après un silence, croisant les bras sur ton torse et cessant un instant de le gonfler. Quant au mec en face de toi, il était tellement lisse de partout que tu as bien du mal à lui donner un âge, il entre dans la catégorie très flou des : plus de 25 ans mais probablement moins de 50. « Oui, peut-être, encore que vu ton allure, tu ferais vilain petit canard. Enfin, pas vilain mais tu saisis l’idée. » Tu lui fais un autre clin d’œil, coupé dans ton élan par sa demi-rebuffade. « Ah ouais, ok… Bon, tu finis à quelle heure, qu’on aille se boire un verre ou un truc dans le genre ? »

« Je sais pas, seize, dix-sept ? »

L’observation physionomiste n’avait jamais été le fort d’Harley qui baisait sans précisément se soucier de l’âge de la personne qu’il avait en face de lui. Il fallait dire que pendant très longtemps, ses partenaires réguliers s’étaient comptés sur les doigts d’une main tant son boulot et le repos nécessaire à se remettre dudit boulot lui prenaient du temps. Il ne s’attarda pas davantage sur le corps d’Alwin, surtout que ce dernier cessait désormais de mettre en valeur des muscles qui paraissaient inexistants à côté des siens car absolument pas travaillés de la même manière.

« Vingt heures le temps de chasser tout le monde. A tout à l’heure alors. »

Il lui rendit son clin d’œil et repartit du côté de la piscine.

T’as envie de répondre, lui clouer le bec mais il est de ces discussions où se justifier ou chercher à répondre ne fait qu’accroitre la mésestime. Tu sens inconsciemment que c’est un de ce genre de moments et tu t’éloignes dignement, le slip dans la raie des fesses, vers l’italien pour lui demander s’il était libre et s’il donnait des cours particuliers. Tu finis par sortir, l’eau chlorée n’étant décidément pas bonne pour ta peau – c’est l’excuse que tu te donnes et tu ne reviens devant la porte de la piscine qu’à l’heure dite, une fleur à la main – une espèce de tulipe que tu avais piqué dans un des parcs de la ville il y a quelques jours et dont tu n’étais pas sûr de l’espérance de vie dans ton appartement. « Ohé ! J’suis là ! Eh ! Tiens, c’est pour toi, elle a une aussi jolie couleur que toi tu l’es. »

Contre toute attente, Harley vit réapparaître le jeune homme une fois le soir venu. Sa tête, bien qu’habituée aux cris et aux rumeurs toute la journée, gonflée comme une pastèque, vibrait encore de tout ce bruit, tant et si bien que, alors que l’équipe de nettoyage oeuvrait silencieusement dans les couloirs, autour du bassin et dans les vestiaires, il lui semblait que ses oreilles bourdonnaient. Comme s’il leur manquait quelque chose et qu’elles avaient besoin qu’un peu de boucan vienne équilibrer tout ça. Il terminait de se changer lorsque des coups retentirent à la porte de la piscine. Comme il ne pouvait envoyer personne à sa place il se chargea, la serviette encore en travers des trapèzes, d’aller vérifier de qui il s’agissait.

Quelle ne fut pas sa surprise de constater que le mec de tout à l’heure avait rallié la piscine à vingt heures comme prévu ! Etonné, Harley s’appuya contre le chambranle de la porte et saisit la fleur qu’on lui tendait.

« Eh bien tu es du genre à ne pas lâcher toi, hein ? »

Il jeta un regard à la fleur qui en elle-même était quelconque mais qui portait une attention touchante qu’il ne pouvait pas nier. Son regard se teinta d’une lueur espiègle.

« Qu’est-ce que tu cherches au juste, tu es au courant que j’ai au moins le double de ton âge ? »

« Non, généralement quand on lâche, on meurt. » Tu lui fais un clin d’œil et laisses pendre tes bras les long de ton corps. « Bah. J’sais pas non, tu sais pas mon âge, j’sais pas le tien. » T’es encore un peu chafouin qu’on te prenne pour un mineur mais c’est de beau jeu. « Moi ? j’veux juste passer du bon temps, d’coup genre si on peut le passer à plusieurs, c’est mieux nah ? Fin, tu me dis si j’te fais chier quoi mais j’te trouve sympa et agréable quoi. » Ta main fait l’aller-retour entre lui et toi, tes yeux louchant un instant sur le torse et la serviette. « Puis t’as dit 20h, moi j’prends ça comme une invitation. On peut aller boire un café ou un truc dans le genre si tu veux ou aller de suite chez toi ou moi. » Tu fais de nouveau risette. « Je fais des salades super bonnes et des omelettes de ouf. »