High Rise

Les soirées avaient tendance à toutes se ressembler, au Naughty H. Elles avaient toujours toutes le même rythme, le même refrain et on y retrouvait toujours les mêmes gueules de dépravés. Celles de ces mecs en manque d'amour, en manque d'affection qui finissaient par venir se vider les couilles dans autre chose que leurs vieux mouchoirs en tissus. Celles de ces danseuses qui se sont retrouvées ici malgré elles ou de leur plein gré, qui s'appliquent à la tâche en essayant de sourire un minimum, histoire de faire bonne figure. C'était avantageux, d'avoir la main sur une telle affaire. Le Naughty H fonctionnait bien et ramenait pas mal de billets dans les caisses du patron. Le club était souvent bondé, plein à craquer. Tellement parfois qu'on finissait par manquer de place, que les alcôves saturaient et qu'on finissait par penser qu'il serait plus judicieux de prévoir des travaux pour agrandir l'ensemble et étaler le vice un peu plus à l'avenir.  

« La même chose. » Il faisait glisser son verre en largeur de la table, en direction d'une des serveuses qui passait à proximité, sans prendre la peine de faire preuve ne serait-ce que d'un minimum de politesse. Tandis que ses mains recommençaient à embrasser les courbes de la brune qui se balançait devant lui, il reportait également son attention sur son déhanché maîtrisé, sans vraiment faire gaffe à tout ce qui pouvait se passer autour de lui. L'un des avantages à bosser pour les H, c'était d'avoir moins de restrictions vis-à-vis des danseuses. Elles étaient plus dociles mais aussi nettement plus accessibles pour n'importe quelle personne qui avait de l'importance au sein de l'organisation. Et Kip, il avait eu la chance d'être projeté sur le devant de la scène, d'avoir gagné une bonne partie de la confiance de Marion et d'avoir su l'épauler depuis qu'il les avait rejoint. Marion avait su lui offrir la stabilité, un chemin à suivre. Il l'avait tiré vers le haut, sorti de toutes les galères qu'il traînait avec lui comme un fardeau. Il avait trouvé en lui une sorte de deuxième famille, un mentor. En échange, il lui avait promis loyauté et servitude. Mais Kip, il savait aussi très bien que rien n'était joué et qu'au moindre faux pas, il pouvait se faire dégager.
La serveuse ne tarda pas à lui ramener son verre à nouveau plein, qu'il descendait presque aussi tôt. L'alcool ambré lui brûlait les lèvres et agréablement la gorge dans la foulée, avant de se mélanger à son sang dans un mariage divin. Il s'enfonçait un peu plus dans le canapé, essayant de gagner un peu plus de place sur le terrain du confort. Même si c'était loin d'être gagné, parce que c'était pas l'un des luxes qu'on avait offert au Naughty. Il fermait les yeux, se laissant happer par les vibrations de la musique du club alors que sa tête commençait à bouger légèrement au rythme de la mélodie.

Son repos fût de courte durée, brisé quand il sentait une main se rabattre contre son épaule. Il connaissait ce contact et, aux vues du contexte et de l'endroit où il se trouvait, il ne prit pas beaucoup de temps à comprendre que c'était Marion qui venait l'extirper de son heure de tranquillité. Sans broncher ou chercher à discuter, il emboîtait le pas et suivait Marion de près jusqu'à l'arrière du club. Les questions fusaient dans sa tête, à Kip, tandis qu'il observait Marion entrouvrir tour à tour les portes de chaque niche où des âmes esseulées se retrouvaient pour s'abandonner et s'offrir au plaisir de la chair. « Tu cherches qui au juste ? » Il s'était retrouvé à s'enfoncer avec Marion dans les profondeurs du club sans avoir eu le droit à la moindre explication. Mais il avait bien compris que quelque chose clochait, quand il avait croisé le regard du macchabée, quand il l'avait suivi dans sa démarche élancée et un peu trop rapide. La dernière pièce s'ouvrait devant eux alors que Kip se contentait de jeter un coup d'œil rapide et bref sur chaque coin et recoin de la pièce, par dessus l'épaule de Marion. Tout semblait désert et plus ou moins en ordre, si ce n'est que les draps étaient légèrement froissés sur le lit. La chambre avait été occupée mais pas suffisamment longtemps pour qu'elle accomplisse sa fonction principale, à savoir celle d'accueillir une partie de jambe en l'air. Mais son attention se recentra assez rapidement sur Marion qui s'était déjà écroulé de l'autre côté de la pièce. Il finit par le rejoindre, son regard se portant presque automatiquement sur le corps qui gisait devant le squelette. « Oh bordel de merde. » Il eut a peine le temps de réaliser qu'il rattrapa le téléphone de Marion au vol. Ses doigts pianotaient nerveusement et si rapidement sur l'écran qu'il ne manquait pas de le déverrouiller en un rien de temps, exécutant machinalement les ordres que son patron lui avait balancé.

Une sonnerie, deux sonneries, appel manqué. Il réessayait dans la foulée, l'attente semblait interminable jusqu'à ce qu'il réussisse enfin à joindre le Doc. « C'est Kip. On arrive avec Marion, on a une des danseuses dans un sale état. Elle a du taper dans la surdose d'opio. Ouais, on s'grouille. Ça marche. » Chaque minutes comptaient alors dans un élan encore plus vif, il quitta la pièce pour déguerpir jusqu'au bureau de Marion, à l'autre bout du couloir. Il envoya valser quelques une de ses affaires, déterminé à ne pas perdre une seconde de plus pour mettre la main sur le remède miracle, finissant par rejoindre son patron à nouveau.

Il laissa ses genoux rejoindre le sol, aux côtés de Marion et de la brune. Ses deux mains vinrent à déballer la seringue préremplie de naloxone. « Mets la sur le dos le temps que j'lui injecte. » C'était bien la première fois qu'il donnait des ordres à Marion. Mais pour une fois, il savait ce qu'il faisait et de toutes manières, c'était pas vraiment le moment de chipoter. Il débouchonnait la seringue dans la foulée avant d'y fixer l'aiguille, finissant par injecter la dose de naloxone dans le bras de la brune. « Va falloir qu'on la bouge, si elle réagit pas dans la minute. Soit elle va reprendre conscience, soit va falloir lui injecter une deuxième dose. »

Il était pas forcément serein, parce qu'elle était vraiment dans un état qui le laissait perplexe. Il avait des doutes quant à sa survie, pas trop d'espoir. Si elle reprenait conscience, c'était l'équivalent d'un miracle.