High Rise

A un moment donné, faut prendre le taureau par les cornes, et les maint'nir bien comme il faut.
Nique les rageux, j'vais m'en aller confronter Billy L'Abruti, parce que j'ai besoin de tampons et que dans les autres épiceries aux alentours y'a des putains de caméras de merde.
J'ai répété & répéter mon texte dans ma salle de bain, m'observant dans l'miroir. Aujourd'hui, j'vais m'en aller négocier. P'tete pourquoi pas brandir le drapeau de la paix.
Ouais non, faut pas déconner. La vie de merde que je mène m'a appris plusieurs trucs indispensables à ma survie, et la plus importante c'est que tout l'monde à besoin de quelque chose. Faut juste trouver ce quelque chose pour pouvoir prétendre en tirer quelque chose. C'est la partie la plus compliquée.

J'pousse la porte de l'épicerie après avoir montré mon majeur au gamin devant l'entrée. Celui-là même qui, y'a deux jours, à voulu m'faire la misère. C'pas parce que je suis pas née avec une queue entre les jambes que j'sais pas cogner. Les gosses sont trop prévisibles. Trop cons surtout. Y'en a un qui a eu comme cadeau une bite avoir trois poils sur les couilles dessiné au feutre indélébile sur le front. Moi j'trouvais que ça lui allait bien.

J'avance d'un pas décidé vers Billy, derrière le comptoir. Pas baisser les yeux, pas s'faire avoir. C'tout ce que j'dois faire. J'm'accoude d'un bras et j'lance. "J'viens t'proposer un deal, Billy." Comme dans les films, j'laisse un temps certains avant de me redresser et mettre mes mains dans les poches, l'air complètement détaché. "Tes gamins, c'est des crétins, tu sais ça ? Bien que j'suis consciente d'avoir une dette envers toi, j'te propose un truc qui pourrait nous arranger tous les deux." Pas d'sourire, j'sais pas faire sauf quand c'est insolent. J'ai répété pendant des jours, ça devrait bien s'passer.
Et j'ai cruellement b'soin de ces putains de protection hygiéniques de merde.

J'savais bien que cette discussion allait pas être une partie de plaisir, mais osef, y'en a marre de passer des jours dans le local à poubelles. Puis t'façon, deuxieme chose que j'ai appris : faut savoir s'montrer utile, et montrer qu'on vaut quelque chose. Ça, ça fait aussi partie du plan. J'allais presque sourire à sa remarque jusqu'à ce que son petit surnom me fasse hérisser le poil. Chérie ? CHERIE ? Nan, il est sérieux, lui ?! je bouillonne, ais faut que j'me calme. J'lui lance un regard noir, dents sont tellement serrées qu'elles pourraient se casser. "J'suis pas ta chérie." Même si c'est pour la forme, j'm'en branle, j'suis la chérie d'personne. J'dépends d'personne. Jamais. JA-MAIS.
J'laisse ma langue glisser sur mes gencives pendant que mes poings dans mes poches tentent de se détendre. Aux baies vitrées de l'épicerie, une dizaine de mains sont appuyées. L'envie grimpe d'aller tous leur casser la gueule. L'Chérie, j'arrive pas à l'avaler. "J'sais c'que t'es, j'pas b'soin d'un dessin merci."  L'arrogance, fuse. J'me doute bien que l'type est pas un saint, et que les gamins envoyés sont qu'une mise en bouche. Il pourrait bien m'péter les dents, mais j'préfère pas y penser pour l'instant, j'dois me montrer utile et indispensable. "J'connais bien la pyramide alimentaire." qu'j'rajoute pour bien lui faire comprendre que j'connais les risques. J'suis pas bête bordel. Comme tout l'monde, j'veux sauver ma peau. "Tu dois bien t'en douter, j'pas une thune, mais ... J'compte bien racheter ma dette. " Yeux verts quittent les gamins collés à la vitre et viennent s'poser dans ceux d'Billy. "J'ai des infos pour toi."

Ca mousse, mais j'arrive à tempérer. L'mec là, il a l'art d'me sortir par tous les trous, mais j'vais pas me laisser avoir ça non. Si j'suis personne, lui c'est qu'une sombre merde. Voilà. J'annonce la couleur, c't'info, elle est en béton. Les gens s'imaginent pas c'que leurs poubelles ont a offrir. Surtout si quelqu'un surveille leurs allées et v'nues. J'fais pitié ? ça ça m'fait franchement sourire, et j'lui dévoile mes ptites quenottes. Bawai, c'pas l'premier à m'le dire, ni l'dernier. Qu'est-ce que j'en ai à foutre de l'image que j'renvoie moi ? Rien. "Si j't'ai une taupe, ça ferait bien longtemps qu'j'aurais été balancer ton ptit trafic de gosses aux flics." Ouais, et moi, j'suis pas une taupe. Si y'a bien un truc qui m'dégoûte, c'est les balances et j'en suis pas une. Sourcils qui se froncent malgré moi, il m’énerve à faire genre il m'connait. "J'suis pas une fucking balance, okay. J'me cachais pas, j'cherchais à éponger ma dette. J'ai un peu des principes, tu vois, mais si tu veux pas d'mon info, vazy cogne, fais toi plaisir, j'm'en balek." J'croise les bras. Avec l'nombre de mecs à la daronne qui on d'ja levé la main sur moi, j'ai l'habitude. Sauf que lui est pas si con. Enfin, j'crois.

Putain, qu'il est con. "J'menace pas." Il m'soûle avec son chérie. Poings se resserrent dans les poches du sweat. Si la détermination m'animait avant de débarquer dans cette épicerie de mes deux, la rage va pas tarder à exploser. J'suis comme ça, une putain de dynamite, suffit d'une étincelle. ET BOUM. Débile. Une chérie débile. Putain, j'vais l'fraiser. J'vais m'péter la mâchoire à force de serrer les dents. Regard qui s'assombrit, veines qui palpitent dans mon cou, coeur qui ralenti la cadence. Jamais prise au sérieux, c'est dingue ça. "T'sais quoi, va t'faire foutre." J'crache au sol. Ouais, merde. Rien à foutre. Il m'casse les couilles. J'perd patience (celle que j'ai pas m'voyez), impulsivité qui m'empêche encore de prendre les bonnes décisions et c'te fierté qui m'empêche de faire profil bas. Mais, j'suis pas comme ça, j'nique le patriarcat. "J'vais exploser leur gueules à tes putains d'mioches, t'as pigé ? " Là, j'plus en position d'réfléchir. J'pose mes mains à plat sur l'comptoir, rien à foutre d'être proche et d'risquer d'm'en coller une. "D'main t'as ta thune, et rien d'autre." Qu'il a niquer ma daronne, lui péter les dents, j'm'en cogne. Il m'a vénér. L'info, j'vais la garder pour moi et le crew, et si quelqu'un aura les poches vides, c'lui. J'dresse mon majeur, moue provocante quand j'retrousse mes lèvres et j'tends la joue, l'arrogance qui transpire par tous mes pores.

Puis tout va trop vite. Un ouragan passe, insonorise les bruits extérieurs. Peur qui s'accroche à mes entrailles quand mon cou est sous ses serres. Langue qui a parlé trop vite encore, si rapide que j'en oublie que j'suis plus une gamine, que mon faciès innocent ne me protège plus depuis longtemps. A force de se blinder, à force de vouloir tout faire pour respirer, je m'étouffe sous mes propres cris de rage. Menton en joue, peur qui paralyse mon palpitant. Prunelles vertes qui vont de gauche à droite, se perdent dans ses yeux qui extériorisent pas une once de crainte.
Moi, je me liquéfie. Et j'sais qu'à cet instant, Billy est l'plus gros caillou que j'ai jamais eu dans ma chaussure.
Chacun de ses mots sont encore plus douloureux que ses doigts sur ma peau. Empreintes invisibles, mais qui font mal. Larmes aux raz de mes longs cils vide de tout artifice. Il a raison. J'ai rien. Pas d'oseille. Pas d'famille. Pas de beauté. Pas d'intelligence.
J'suis qu'une carcasse vide qui tente de se donner un peu de consistance en gueulant. Il a raison. J'me laisse tirer comme une vulgaire poupée de chiffon, larmes glissent sur ma joue et provoquent un sillage de déception et de dégoût.
De dégoût de soi-même. La peur me paralyse, et j'me tais. Que dire face à la vérité aiguisée ?
Crever. Ca serait si facile, mais j'suis déjà morte.
C'pas une vie ça. Face contre le comptoir, sourire triste naît sur le visage à présent humide.
Tirée à nouveau, zéro résistance. Gifle qui fuse, lèvre qui se fend sous la force violente de ses mains sûres d'elles. Elles me ramènent à lui, joue qui retrouve à nouveau le comptoir froid. Yeux sous un brouillard de larmes qui captent la boite de tampons que j'étais venue chercher à la base. Rage avait encore pris le dessus, me faisant oublier le pourquoi de ma présence. Menace de l'handicap, des coups qui vont être donnés. Une bonne raison. C'quoi une bonne raison pour un gars comme ça.
Ma joue est brûlante. Le sel des larmes picote et me rappelle que j'suis pas encore morte. Je renifle. J'ai pitié de moi-même.
Je sais même pas quoi lui répondre à Billy.
J'veux ma mère. J'veux mes potes. J'veux Kip. J'veux être dans la chaufferie à rire aux rêves débiles de Gin. J'veux pas crever, putain.
"Parce que j'sais l'nom de deux de tes gamins qui te la mettent à l'envers." L'info est enfin lâchée. La voix est tremblante, mais cette fois je ne mens pas.
Billy à gagné.

L'info est lâchée, et j'prie intérieurement pour que ça fasse son effet. Y'a que ça qui me reste, parce que selon Billy, j'vaux rien.
J'suis insignifiante.
Insignifiante et moche en plus. Putain, j'pas demandé à être comme ça. J'trouve ça trop égoïste de faire des gosses, j'pas demandé à vouloir avoir ma place sur Terre. Joue est tapotée, j'suis un bon toutou. J'prends enfin le risque d'inspirer un peu d'air avant d'étouffer sous la peur. J'peux me relever. J'baisse les yeux. J'me sens honteuse. Et j'ai la rage au ventre d'pas arriver à me défendre. De devoir me laisser faire. D'faire silence parce que je saurais pas quoi dire.
Parce que j'peux pas parler. Ma bouche est scellée par l'sang qui colle mes lèvres entre elles.
Les explications sont demandées. J'déglutis avec difficulté, l'impression d'avaler des fils barbelés. L'goût métallique du carmin n'arrange rien.
"J'les ai entendu en parler dans l'local à poubelles.." que j'commence sans trop savoir par où commencé. L'sol est sale. Mes yeux fixent les tâches pour pas d'voir voir sa gueule mécontente, pour pas voir la gifle qui va arriver. Encore. "Les jumeaux du cinquième." J'sais pas leurs prénoms, pour moi c'est Tic & Tac. Ca m'fous les nerfs qu'le deal s'passe pas comme prévu. J'devrais payer en plus de donner mon info. C'est injuste.
J'suis conne.
Conne, insignifiante et moche.
Pas étonnant qu'j'vaux pas grand chose. "Ils parlaient d'colis à récupérer. Qui donneraient l'autre moitié à un certain Malik." J'hausse les épaules, jamais entendu parler de c'nom. P'tete même qu'le type il est pas dans l'immeuble. J'sais pas. J'm'en fou. J'veux mes tampons et m'barrer.

J'sais pas ce qui m’énerve l'plus entre ma soumission et l'fait que quoi j'fasse pour n'importe qui, ça soit jamais assez bien. Les gens sont jamais satisfaits. Ma mère d'abord, les crétin d'profs, les potes, et à présent Billy.
J'ai envie d'hurler. Dents se serrent encore. J'vais encore exploser. Encore me foutre dans la merde, mais j'peux pas contrôler cette putain d'colère, putain d'émotion dévastatrice.
"Ptain, j'te dis que dans trois jours y doivent récupérer des colis pour toi et qu'ils vont t'mytho et t'fournir que la moitié. Qu'est-c'tu veux d'plus bordel de cul ??"
Visage qui devient blême quand son doigt s'pose sur mon épaule. Bouche qui s'ferme à nouveau, yeux qui glissent lentement vers l'sol. Oh putain qu'il m’énerve. Yeux se lèvent au ciel avant d'm'accroupir et de rendre invisible le crachat d'un coup d'manche. Putain, c'est crade. Tâches de gris qui ornent mon poignet maintenant. Super.
"J'peux avoir une boite de tampons ? " J'ose. J'fais pas exprès d'avoir autant d'culot, hein, mais qui tente rien n'a rien. Bon, même en tentant j'me retrouve les mains vides, mais ça c'est un autre débat.

J'aime pas m'faire traîter comme d'la merde, mais encore moins qu'on m'traite comme une gamine. Sa tappe sur l'épaule, m'donne envie d'le mordre, mais j'me contiens. J'sais qu'il va m'en retourner une si fort, qu'elle va m'assommer. J'vois pas c'que j'peux lui dire d'plus. Il a des noms, et une notion d'temps, il veut quoi d'plus ?? Après tout, j'm'en balek, c'pas mon problème et puis, au moins, ça m'a permis d'garder la vie sauve. Sourcils froncé, j'le regarde s'éloigner, moment où j'profite pour réclamer une boite d'tampons. Pourquoi ? Mais il est con ou quoi ? "Pour faire un tennis avec mes Legos." qu'j'lâche avec toute la désinvolture du monde. D't'façon j'ai pas d'Légos, mais c'pour l'principe. Aussi vrai que j'ai pas d'thunes,c'qui s'amuse à souligner d'ailleurs. Amon tour d'hausser les épaules. "J'sais pas, tu veux quoi?"