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Levine Zelman
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Dim 3 Jan - 17:56

18 décembre - 22h17 | 11e étage

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Marion suivit avec dédain la courbe des lèvres de son interlocuteur quand il se fendit d’un sourire satisfait. Il ravala avec empressement l’envie de lui carrer son poing dans la gueule et, à son tour, grimaça un rictus commercial.

« 'plaisir de faire affaire avec vous ! »

L’homme renifla fort, comme pour se saouler de l’odeur de victoire dans laquelle il devait penser baigner. Il plia avec un soin tout particulier la maigre liasse de billets représentant plus d’un millier de dollars et la glissa dans la poche intérieure de sa veste à défaut de la caler directement dans son caleçon, bien au chaud sous les valseuses - son cerveau atrophié devait lui intimer de conserver un rien de la décence qui lui faisait déjà cruellement défaut. Dans un élan suicidaire, son égo ne l’étouffant pas, il tendit une pogne poisseuse au squelette qui se contenta de lever les yeux vers lui. Marion clappa sa langue fendue contre son palais, se lova plus confortablement dans son fauteuil et pinça sa cancéreuse entre ses lippes pour inspirer une longue bouffée supposée calmer son humeur massacrante. D’un signe du menton, il proposa à son invité de foutre le camp. Vite. Avant que l’envie de lui faire regretter d’avoir franchi le seuil du Naughty H pour lui réclamer de la thune ne se fasse ressentir.
Le type avait un certain culot, c’était indéniable, et une paire de couilles suffisamment grosse pour lui faire oublier son instinct de survie. Venir frapper à la porte d’un homme pour lui demander d’éponger la dette d’un membre de sa famille, c’était une chose ; souffler dans les bronches d’un proxénète pour lui demander de rembourser le pactole avec lequel sa sœur s’était tirée, c’en était une autre. Il eut cependant la clairvoyance de s'effacer.

La porte claqua quand l’importun s’en fut. Marion se pinça l’arête du nez, joua un instant avec les piercings qui la crevait et se leva finalement. Il écrasa le cul de sa cigarette dans un cendrier débordant déjà de cadavres de Gitanes, attrapa son cuir éreinté par les années et sortit de l’antre qui lui servait de bureau en grinçant des dents. Ses lippes tatouées ne tardèrent pas à accueillir une nouvelle sans filtre comme il dévalait l’escalier pour retourner au niveau principal du club. Maussade, il attrapa un homme de main, un deuxième, un dernier qui manqua s’étouffer sur sa pinte de bière lorsqu’on l’interpella, et leur maugréa quelque ordre de revanche : récupérer son dû, redécorer le bar façon Tsar Bomba, faire passer l’envie au type de rejouer les créanciers.
On s’activa en une fraction de seconde, les esprits comprenant immédiatement que le maître des lieux n’était pas d’humeur à attendre. La patience était une vertu inconnue au mort-vivant ; à bientôt quarante ans, il ne voyait plus l’utilité de l’acquérir. Les affaires tournaient de toute manière sans qu’il ait besoin de revoir son comportement, Gene compensant ses travers.

En un tour de bras, l’homme s’enfila un verre de rhum et son éternel blouson noir, attrapa son téléphone et composa un numéro qu’il connaissait sur le bout des doigts. Sans surprise, la tentative de communication se solda en échec, ajoutant davantage à son aigreur du soir.

Il lui fallut une demi-douzaine de coups de fil, quatre courses aux extrêmes de la ville et trois longues heures pour qu’enfin on lui fournisse l’adresse où devait se finir sa quête. La peste qui lui servait de cadette avait un don hors du commun pour s’évaporer dans la nature, disparaître de la surface de cette foutue planète sans laisser de traces. Elle était si petite et si frêle qu’elle était d’une simplicité déconcertante à cacher. La Puce aurait pu se dissimuler derrière un rayon de soleil. Mais par chance, l’astre du jour se faisait rare ces dernières semaines à Chicago, facilitant les recherches. Le ciel se contentait de leur pisser à la gueule depuis quelques temps.

Les balais d’essuie-glace battaient un rythme endiablé quand la Mustang s’immobilisa devant un immeuble décrépi des quartiers sud. C’en avait bien valu la peine, de griller de l’essence d’un bout à l’autre de la ville pour revenir à son point de départ. Marion claqua la portière de sa tire avec une violence qui trahissait son énervement, lui qui d’ordinaire se montrait si doux avec une voiture qu’il avait mis des années à retaper. Il avisa les étages du Square avant de s’y engouffrer, tenta de se remémorer à quel palier il lui faudrait s’arrêter et gravit les marches quatre à quatre, trempé comme un chien, son cuir dégoulinant.

La porte manqua se briser en deux tant il y tambourina. De l’autre côté, un bruit de pas pressé suivi de chuchotements peu discrets lui laissèrent entendre qu’il approchait considérablement le Graal. Le chauve fit un pas en arrière en attendant qu’on vienne lui ouvrir, sa patience inexistante mise à rude épreuve. Il résolut d’allumer un nouveau clou de cercueil durant les trois secondes qu’il fallut à une petite blonde aux orbes noirs pour entrouvrir le vantail. Elle passa le nez par l'entrebâillement et leva ses jolis yeux au ciel en reconnaissant le cauchemar ambulant qui se trouvait dans son couloir.

« Qu’est-ce que tu veux ?
- Putain t’as déjà été plus accueillante que ça.
- J’ai pas de temps à t’accorder, rétorqua la jeune femme, je dois me préparer.
- Oh, pardon, tu sors ? T’en fais pas, va ! Il me faudra pas plus de cinq secondes pour la récupérer, maugréa-t-il sur sa cigarette.
- Elle est pas là. »

La blondasse croisa les bras sous sa poitrine, visiblement résolue à ne pas le laisser entrer. Marion lui souffla une épaisse colonne de fumée au visage en crachant :

« Je suis pas d’humeur à ce qu’on me broie les couilles. »

Il repoussa brusquement le panneau de bois, manquant l’écraser dans le nez de la gamine qui le retint de justesse, et entra en trombe comme la tornade qu’il était. Ses pas lourds et pressés le menèrent en moins d’une seconde jusqu’au cœur de l’habitation, un salon à peine plus grand qu’une boîte de conserve où tenaient difficilement un canapé usé, une télévision disproportionnée et une petite cuisine qui n’avait visiblement pas vu de ravalement de façade depuis une quarantaine d’années. Marion fit un rapide tour d’horizon ; ses orbes mauvais accrochèrent la porte de la chambre à coucher qu’il ouvrit à la volée.

Son cœur rouillé faillit lui remonter dans la gorge et l’asphyxier quand il découvrit le visage émacié de Charles. Elle n’avait jamais été bien épaisse, mais la maigreur semblait creuser ses traits plus qu’à leur dernière rencontre.

Le proxénète tapota sa sans-filtre pour faire tomber les cendres qui s’étaient accumulées à son extrémité sans se soucier de la moquette au sol. Il la dégueulassait déjà de ses grolles trempées, un peu plus un peu moins ...

« Puce, souffla-t-il avec un contrôle qu’il ne se connaissait qu’avec elle. »

S’adressant à la blonde qu’il sentait à un mètre à peine de lui, son souffle lui caressant presque la nuque, il aboya plus qu’il réclama un peu d’intimité.
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Dim 3 Jan - 18:02



« Désolée d’arriver comme ça Hailey mais j’avais nulle part où aller ce soir. » Fit la petite brune quand son amie lui laissa la voie libre jusqu’à son minuscule appartement. « T’inquiète, rétorqua la blonde, Tommy bosse toute la nuit de toute façon. »

Charlie remercia Hailey d’un signe de la tête plus que du son de sa voix et disposa son sac mouillé et ses chaussures dans l’entrée avant de s’aventurer jusqu’au salon, pieds nus, frigorifiée d’avoir passé plus de deux heures dehors sous la flotte que déversait Chicago depuis le grand matin. Elle n’avait pas l’habitude, la petite, de demander de l’aide et préférait se débrouiller seule la plupart du temps. Mais cette fois, c’était différent, elle commençait petit à petit à défaillir, déprimer, en voyant la vie aussi grise qu’elle la voyait plus petite. Bien sûr, ce n’était pas son genre à Charles, de s'apitoyer sur son sort et se laisser aller mais après son escapade à Moscou, elle avait vite compris qu’elle n’était rien d’autre qu’un déchet de la société. (Dans le bon ordre c’était plutôt: La société lui avait vite fait comprendre qu’elle n’était qu’un déchet.)

Hailey lui offrit l’hospitalité; Lui avait permis de prendre une douche et de manger quelques chips qui la rassasièrent quasiment. Mais Ce qui importait le plus à Charlie présentement, c’était pouvoir passer la nuit quelque part, au chaud, sans craindre rien ni personne. Ca lui était arrivé de passer des heures entière dehors et la Puce ne souhaitait revivre ça pour rien au monde parce que les clochards bourrés n’avaient pas de limites et aussi parce qu’elle n’avait aucune défense, aucune échappatoire. Quand on dort dans les bas fonds de Chicago c’est comme se coucher au creux du vice et du danger. Par chance, il ne lui était rien arrivé à part quelques désagréments qui l’avaient dépouillée de la beuh qu’elle traînait au fond de ses poches trouées mais qu’elle retrouva rapidement auprès d’un gars qui la baisait de temps en temps.


La petite soupira en verrouillant son téléphone qui s’était éclairé au moment où son frère avait essayé de la joindre et elle pria intérieurement pour qu’il n’insiste pas. Elle et lui, c’était de l’histoire ancienne depuis qu’il lui avait soufflé dans les bronches pour une histoire d’argent. Charlie était pourtant bel et bien consciente qu’elle n’était qu’une petite conne mais elle se persuadait sans doute un peu trop que les circonstances atténuantes qui lui appartenaient lui donnaient droit à tout; Ce que Marion ne pouvait pas comprendre ni accepter.

Elle était hypersensible quand lui était plus colérique que n’importe qui et trop gentille quand il n’avait aucune empathie pour personne. Il ne pouvait donc pas comprendre que l’on puisse aider quelqu’un qui se disait fauché avec un grand besoin d’argent. Charlie était naïve et c’était peut-être donc ça qui emmerdait Marion jusqu’à la moelle mais la renier ne fit que mettre le feu aux poudres et elle s’était laissée couler sous le mauvais côté de sa personnalité.



« Dis lui que j’suis pas là… » Chuchota Charlie qui se précipita jusqu’à la chambre juste après avoir écrasé rapidement son joint qu’elle laissa disparaître dans l’une de ses poches.

Elle patienta silencieusement sur le lit, comme si elle attendait son tour pour la chaise électrique, les mains moites et le coeur tambourinant contre ses côtes apparentes. Elle supplia intérieurement Dieu pour que le squelette fasse demi-tour, loin d’elle l’envie de remettre sur le tapis leurs dernières disputes. Charlie ne savait pas vraiment pourquoi mais si sa majesté tout droit sorti du trou du cul de son foutu Naughty H était là, ce n’était certainement pas pour rien. Marion ne se déplaçait jamais pour rien, le cas échéant, il faisait déplacer quelqu’un pour lui.

La petite releva les yeux sur la porte quand elle entendit les pas pressés de son pire ennemi et soupira en découvrant son visage. Le sien se décomposa littéralement alors que ses yeux miroitèrent le ciel un court instant.

« Qu’est-ce que tu fous là ? » Cracha-t-elle, les sourcils froncés et les bras croisés autour d’un oreiller comme si ça suffirait à la protéger des foudres qui l’attendaient. « Oh pardon, je devrais plutôt dire: Qu’est-ce que j’ai encore fait pour que tu daignes te déplacer pour venir me voir ? » Mâchoires serrées, elle retint sa respiration, prête à accueillir les éclairs de colère de son frère. Charlie faisait peut-être tout ça exprès, agissait en petite merdeuse juste pour attirer son attention, attention dont elle manquait cruellement.

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Lun 4 Jan - 13:21

Leur hôte, suffisamment intelligente pour savoir qu’il valait mieux ne pas se tenir à proximité de l’orage qui grondait, se retira dans un soupir rempli d’injures auxquelles l’homme ne prêta guère attention. Il était bien trop habitué à ce qu’on le congratule de tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables pour s’offusquer de ces quelques insultes, et Hailey lui en avait déjà servi d’autres.

La Puce s’anima lorsque son amie fut à bonne distance. Elle attrapa un coussin qu’elle tordit entre ses bras maigrelets et, comme un chiot qui apprenait à aboyer, couina :

« Qu’est-ce que tu fous là ? »

Les yeux glauques de Marion se fichèrent dans ceux de sa sœur. Il avait tendance à oublier comme elle ressemblait à leur génitrice. L’évidence lui sauta à la gueule à cet instant précis, réveillant une rancœur qui n’était pas destinée à la gamine. Elle était jolie, la Puce, comme avait pu l’être Holly avant que la drogue, les coups et le karma ne s’attaquent à la douceur de ses traits. Lui n’avait pas eu cette chance. Le trentenaire n’avait jamais été particulièrement beau, plus jeune. Plutôt quelconque, en réalité, il avait dû hériter tout ce qu’il y avait de plus laid dans le visage de leur mère, lui offrant la caractéristique toute particulière d’être son portrait craché, l’harmonie et l’esthétisme en moins. Dieu seul savait à quel point il avait détesté le reflet que lui crachait le miroir chaque fois qu’il se regardait dedans avant que l’encre ne ronge l’intégralité de sa peau. Avant qu’il ne dépense une fortune pour se défaire des traits maternels. Il s’était empressé de les faire recouvrir, à défaut de pouvoir les arracher, et pouvait se targuer aujourd’hui de ne ressembler à rien d’autre que lui : un monstre. Une œuvre d’art mouvante, suffisamment bien exécutée pour être belle, encore assez terrible pour être repoussante.

« Oh pardon, je devrais plutôt dire: Qu’est-ce que j’ai encore fait pour que tu daignes te déplacer pour venir me voir ? »

Le masque de Camarde du tatoué se fendit d’un rictus désagréable. Il inspira une longue bouffée de Gitane, ravalant le besoin pressant qui lui chatouillait les entrailles de la défenestrer pour ne pas avoir à la traîner de force dans l’escalier jusqu’à sa voiture.

« Ça me fait plaisir de te voir également. Stew va bien, le chien aussi, merci de t’en inquiéter. »

Il ne se rappelait pas la dernière fois qu’il lui avait parlé. Ou plutôt, il se souvenait parfaitement de leur conversation, mais était incapable de la replacer chronologiquement. Elle lui avait manqué, si bien qu’une semaine sans voir son minois pouvait sembler une éternité. Et des éternités, Marion en avait subi un paquet ces dernières années. La Puce avait passé tant de temps à grandir sans lui … Il n’avait pas vu le jour où elle avait arrêté d’être son bébé pour devenir une petite conne effrontée qu’il n’avait pas le droit de gifler pour lui remettre les idées en place. L’envie le démangeait pourtant ; les fourmis se faisaient plus nombreuses que jamais au creux de sa paume.

« J’ai rencontré ton patron aujourd’hui, lança-t-il pour se distraire. Un type charmant, vraiment … Il m’a sympathiquement proposé de me soulager d’un bon millier de ronds. »

Une seconde passa, le temps de laisser le loisir à Charles de comprendre tout ce que cette annonce impliquait. La colère qui grondait et qui transparaissait dans ses mots n’était rien face à la déception qu’il ressentait. Cette fichue déception d’avoir toujours et encore à ramasser les pots cassés pour une enfant incapable de grandir, incapable de se comporter décemment. En adulte. Elle réclamait pourtant qu’on la respecte, qu’on la traite comme la grande personne qu’elle disait être. La Puce se voulait responsable quand elle n’était pas même capable de garder un emploi et un toit sur sa tête.

Il claqua sèchement, de sa voix rauque éternellement imbibée de tabac et d’alcool :

« La prochaine fois que tu tires de l’argent à quelqu’un, fais en sorte que ça soit à une blonde bien foutue, histoire que je puisse au moins prendre mon pied quand je me fais baiser par ta faute. Marion désigna le coussin : lâche ça et ramasse tes affaires. On y va. »
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Lun 4 Jan - 13:26

Charles retint sa respiration durant quelques longues secondes qui lui paraissaient être une éternité. Elle attendit gentiment que la foudre ne lui retombe dessus sans finalement n’apercevoir que quelques éclairs ressortir de la bouche teintée de son demi-frère. Il n’avait pas l’air si en colère finalement, ou il cachait très bien la tempête qui se jouait en lui et Charlie se soulagea de ne rien entrevoir de ce que Marion pouvait ressentir à ce moment très précis.

La petite brune ne connaissait pas encore les raisons de la venue de son squelette de frère mais pouvait facilement s’imaginer qu’il s’agissait de quelque chose d’assez grave pour qu’il daigne se déplacer jusqu’ici. Elle ne se demanda même pas comment il avait pu la retrouver, Marion étant un expert dans ce domaine sans que Charlie ne puisse savoir comment il pu acquérir un don aussi puissant. Partout où elle allait, c’était exactement comme si elle fut munie d’une puce localisatrice dès sa naissance tant Marion avait pu la retrouver maintes et maintes fois.

La silence embauma la petite chambre à l’odeur de marijuana et de ses grands yeux, la Puce observait Marion tout en tenant fermement l’oreiller contre sa poitrine, oreiller qu’elle matérialisa dans son esprit comme un bouclier contre les remontrances de Marion. Et alors qu’elle s’attendait encore à des cris, les explications tombèrent et la bouche de Charles s’entrouvrit, bouche-bée. Son ex-patron avait donc eu les couilles d’aller voir Marion pour retrouver l’argent qu’elle lui avait pris, quel culot ! Se dit-elle.

Et les mains minuscules de Charlie commencèrent à se parsemer d’une moiteur qu’elle avait connue à chaque fois qu’elle se retrouvait dans cette situation. Ainsi, elle retrouva également les battements effrénés de son cœur qui ricochaient dans ses tempes et qui titillaient en même temps ses paupières qui se gorgèrent d’une eau salée qui ne coula pas immédiatement. La boule dans sa gorge se déploya lentement mais avec ardeur et elle tenta de maîtriser le rythme accéléré de sa respiration tout en avalant sa salive plusieurs fois par minutes.

Elle se sentait merdique, plus basse que le sol et même les vers de terre semblaient peser plus lourds qu’elle dans la considération que le monde portait à chacun. Charlie avait rêvé cent fois d’être effacée de la carte gigantesque de la Terre, mais avait retrouvé aussi cent fois le courage de se relever et de vivre malgré les embûches parsemées sur toute la longueur du chemin qu’elle devait parcourir.


La Puce lâcha le coussin, ne couina pas, ne s’opposa pas non plus et se fit étrangement très docile pour une fois. Elle bougea doucement du lit, baissa les yeux pour ne plus à avoir à affronter le regard sévère de Marion et attrapa son sac à dos avant d’y plonger hasardement chacune de ses affaires. Ce fut très rapide puisqu’elle ne possédait quasiment rien et elle referma la sac avant de passer sa veste qui n’était plus du tout appropriée pour la saison.

Elle le suivit silencieusement, fit un geste à Hailey pour lui dire au revoir et ils passèrent la porte, Marion devant et elle, qui tentait de le suivre. Sur le chemin qui les conduisait à la voiture, Charlie s’arrêta un instant avant de relever les yeux sur Marion qui avait remarqué tardivement qu’elle ne le suivait plus. « Je suis désolée Marion… Je pensais pas qu’il viendrait te voir, je savais même pas qu’il savait que tu étais mon frère. Je comptais le rembourser en plus. » Charlie bégayait et ce n’était pas son habitude. Elle qui avait des suites dans les idées, parlait toujours en étant sûre de ce qu’elle avançait, en étant sûre d’elle. C’était différent maintenant, elle avait perdu en crédibilité mais en confiance surtout.

Le petit bout de femme qu’elle était s’avança vers Marion à nouveau et prit son sac devant elle pour l’ouvrir et chercher son portefeuille. « Je vais te redonner l’argent. » Fit-elle tout en dégainant une vieille pochette qui n’était certainement même pas destinée à recevoir des billets à l’intérieur. Charles recompta les dollars qu’elle possédait et les rassembla dans sa main. « J’ai soixante-dix huit dollars, tiens. » Elle tendit la main qui tenait l’argent à Marion et inspira lentement. « Je te donnerai le reste plus tard, ça te va ? » C’était tout ce qui lui restait, moins de cent dollars qui lui auraient permis de manger et de trouver, peut-être, un motel pour les nuits suivantes. « Je devrais avoir la paie de l’école dans pas longtemps et je fais du babysitting dans trois jours, ça pourrait déjà rembourser une partie de ma dette. » Les émeraudes de Charlie se relevèrent vers le squelette qui semblait excédé et elle était triste de se rendre compte qu’elle pouvait lire la déception dans un de ses simples regards. « Je suis désolée… » Répéta la gamine en baissant les yeux sur ses chaussures usées par le temps. Elle l’était vraiment et c’était bien la première fois qu’elle ne se rebellait pas face à Marion, la fatigue peut-être, la lassitude encore plus certainement.
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Lun 4 Jan - 13:46

Marion passa sa langue fendue sur ses lèvres avant d’y loger sa cigarette. Maussade, sa mâchoire crispée trahissait l’amertume qui pulsait dans ses veines. Il avait fréquemment l’air en rogne, ces derniers temps ; le voir serrer les dents n’avait donc rien d’inhabituel, surtout lorsqu’on lui faisait cracher l’argent durement gagné par ses filles. Le sang-froid dont il faisait preuve et la hargne qu’il mettait à se contrôler pour ne pas démolir le petit bout d’être devant ses prunelles, en revanche, étaient bien plus rares. Il ne les réservait qu’à sa demi-sœur. Tout autre radasse - ou couillon muni d’un service trois pièces, il ne faisait pas de distinction dans ses moments de rage - aurait déjà fait les frais de son humeur : un crâne fracassé à coups de poings, un corps jeté dans l’un des lacs ou ruisseaux qui crevaient le sol de Chicago, un appartement saccagé pour apprendre à la blondasse qui se serait permis de la recueillir qu’on ne refusait pas l’entrée à un homme comme lui. La Puce n’avait de chance que celle d’être chère à son cœur, puisque le nom de famille qui les rattachaient l’un à l’autre n’avait aucune importance à ses yeux. Il avait démoli Holly sans le moindre remord, il aurait pu la briser également.

Contre toute attente, alors même qu’il s’attendait à entendre sa cadette brailler, piailler qu’il n’était qu’un connard dont elle n’avait pas besoin, qu’elle était assez grande pour se débrouiller seule et n’avait pas de comptes à lui rendre, Charlie s’exécuta. Ses grands yeux mouillés se baissèrent comme ceux d’un chien qu’on réprimandait, et elle se leva. Plus silencieuse qu’elle ne l’avait jamais été, elle rassembla ses affaires, passa son sac sur ses épaules trop frêles et quitta la chambre sans autre forme de procès en lui emboîtant le pas.
Hailey s’agita quelque peu, lança un regard assassin à Marion quand il écrasa son mégot sur un bras de canapé au passage, et un autre, inquiet, à sa petite ombre. Cette dernière ne pipa mot, se contentant d’un vague signe de la main pour s’excuser de son départ et peut-être même d’exister, d’avoir dérangé le calme qui régnait dans l’appartement en y apportant une tempête. Le tatoué estimait pourtant qu’il avait su faire preuve de calme et de diplomatie, un comportement pour le moins encouragé par la docilité de la Puce.

Ils n’étaient pas encore sortis du Square qu’une voix hésitante s’élevait derrière lui. Le proxénète pivota sur ses talons et fit deux pas pour réduire les quelques mètres qui les séparaient.

« Je suis désolée Marion… Je pensais pas qu’il viendrait te voir, je savais même pas qu’il savait que tu étais mon frère. Je comptais le rembourser en plus. »

Un soupir mauvais souleva ses épaules. Avec quoi comptait-elle rembourser son ancien patron ? L’argent qu’il avait déposé durant des années sur un compte bancaire à son nom et qu’elle s’était empressé de laisser à son précédent petit ami ? Marion doutait que le type soit enclin à prendre les larmes comme moyen de paiement, et il ne voulait pas imaginer qu’elle fût assez désespérée pour se servir de son cul pour éponger ses dettes. Ou plutôt, il espérait que ce réflexe de survie n’était pas héréditaire.

« Je vais te redonner l’argent. »

La gamine fouilla nerveusement une petite trousse qui devait renfermer le peu d’économies qui lui restaient. Elle tendit, déconfite, une poignée de dollars, à peine de quoi vivre quelques jours dans cette ville de merde.

« Je te donnerai le reste plus tard, ça te va ? Je devrais avoir la paie de l’école dans pas longtemps et je fais du babysitting dans trois jours, ça pourrait déjà rembourser une partie de ma dette. »

La Puce releva deux billes encore humides vers son frère. Il lui arracha la petite liasse des doigts alors qu’elle s’excusait à nouveau et enfouit le maigre pactole dans son cuir, soustrayant mentalement la somme à celle qu’il avait dû débourser pour se débarrasser du créancier. Le squelette lui agrippa l’épaule pour la pousser vers l’avant, la sortie, la pluie qui battait toujours et encore le pavé. Il la conduisit rapidement vers la voiture, ses griffes plantées dans ses os, ouvrit la portière passager, la jeta à la place du mort et contourna le nez de la Boss pour s’enfoncer à son tour dans l’habitacle.

« De quelle école tu parles ? »

Son ton sec frappa sourdement les vitres. Il passa une main sur son crâne pour le débarrasser des gouttes qui y perlaient, fouilla ses poches à la recherche de la clé, enfonça le précieux sésame dans le contact mais s’interrompit avant de réanimer le moteur. Le mort-vivant fixa le vague un instant, le pare-brise martelé de trombes d’eau, une pensée crasse filant entre ses deux oreilles. Les narines dilatées, la mâchoire proche de se briser tant il serrait les crocs, il ordonna :

« Relève tes manches. »

Et comme elle ne s’exécutait pas assez rapidement, il lui saisit le poignet, le tordit dans sa direction et attrapa le tissu qui recouvrait sa peau diaphane pour le faire glisser au-delà du coude. Le regard inquisiteur de Marion remonta chaque veine qui crevait l’épiderme, cherchant le signe quelconque de l’endroit où pouvait bien passer l’argent de sa sœur. Il ne trouva pourtant pas de trou. Pas de bleu. Pas de petit vaisseau éclaté sous la pression d’une seringue, aussi la relâcha-t-il avec autant de violence qu'il l'avait attrapée. Il planta un regard teinté de pitié et de dégoût dans ses prunelles si claires.

« Tu fais quoi de ta thune ? Tu te refais la cloison nasale ? Oxy ? Fentanyl ? Putain t’es tellement maigre qu’on a l’impression que tu vas tomber en morceaux. »
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Lun 4 Jan - 13:58

Les billets glissèrent de ses doigts maigres en même temps que sa dignité et les émeraudes que la Puce releva vers son frère s’embuèrent davantage lorsqu’elle se rendit compte de tout le dégoût et toute la colère qui déformaient son visage déjà bien transformé. Ca lui fendit le cœur à la gamine, lui rappela qu’elle n’avait que lui et que ses rêves de le rendre fier s’envolaient à chaque fois qu’ils se retrouvaient dans cette situation de merde. Les larmes étaient à deux doigts de couler mais Charles les ravala difficilement avec ce qui lui restait de courage tandis qu’elle serrait les dents pour maintenir les sanglots bien à l’intérieur.

La pluie frappa les tempes de Charlie qui tenta de suivre les mouvements ordonnés par les doigts de son frère plantés dans son épaule et elle ne dit toujours mot quand il l’obligea à s’asseoir du côté passager, se laissa faire étrangement. Elle s’était imaginé une seule seconde partir en courant, loin, le laisser avec ses billets et elle, elle aurait repris sa vie instable sans qu’il n’en sache jamais rien. Mais voilà, la Puce était arrivée à un stade où elle ne pouvait pas reculer face à Marion, ou du moins, elle était bien trop fatiguée par ce que la vie avait fait de son existence pour pouvoir s’enfuir et rester, par-dessus tout ça, digne. Alors, en moins de temps qu’il fallait pour le dire, elle avait décidé de rester et de laisser Marion s'immiscer encore une fois chez elle.

Le silence dans l’habitacle de la voiture pesa lourd sur les épaules de la petite et elle tourna légèrement le visage  quand le squelette décida enfin de la questionner. Elle balbutia tout en retirant les cheveux mouillés qui étaient collés à son visage. « L’école élémentaire de Chicago, j’y-j’y fais l’entretien… » Charles n’était pas fière de dire qu’elle faisait le ménage dans une putain d’école où même les élèves, qui étaient parfois presque aussi grands qu’elle, se moquaient encore, lui rappelant sans arrêt que c’était uniquement pour ça qu’elle détestait les cours.

La brune attendit sagement que son frère démarre, au moins pour que le vrombissement du moteur puisse cacher les bruits incessants de son cœur qui tambourinait contre ses côtes et qui envahissait en même temps son crâne. Ca n’arriva pas, il ne démarra pas et Charlie commençait à se questionner tout en relevant un regard inquiet vers Marion. « Quoi… ? » Demanda-t-elle, ne comprenant qu’à moitié ce qu’il voulait. Elle n’eut pas le temps d’obéir qu’il prit déjà son poignet pour en découvrir le bras tandis qu’elle couinait un “aïe” quasi-inaudible. Elle le regarda faire un moment, quelques longues secondes suspendues dans le temps qui fissurèrent tout en elle. La Puce était déjà brisée mais c’était exactement comme si son frère avait pris les restes d’elle pour en faire des miettes qu’il souffla au loin.  

Elle redescendit sa manche dès lors qu’il la relâcha et posa son bras contre sa poitrine qui se serrait davantage encore. « J’y crois pas... Tu me prends pour une droguée ?! » La gamine se sentait mal et il lui fallut s’armer de toute sa concentration pour éviter de tomber, transformer toute cette rage et toute cette peine en tremblements et en simples larmes qui roulèrent enfin le long de ses joues. « Je suis PAS une droguée Marion ! Et j’ai toujours été maigre, c’est mon corps qui est habitué comme ça. Mais… T’as jamais remarqué ? Ah non, excuse moi, t’étais trop occupé à vouloir tuer mon père ou à tabasser notre mère. Désolée Marion si je suis pas nette, si je suis pas comme tu voudrais que je sois mais va falloir t’y faire. Oh, j’y pense, désolée j’ai menti, attend. -Elle ouvrit son sac, fouilla à l’intérieur et balança sur son frère des résidus d’herbe séchée dont l'odeur embauma immédiatement toute la caisse- Je suis obligée de fumer ça pour éviter de me rappeler tous les soirs que TU m’as abandonnée et que c’est pour ça que ça tourne pas rond chez moi. » Elle passa une main sur son visage avant d’essuyer avec sa manche son nez qui coulait. « Tu recevras les sous dès que je les aurais. » Finit-elle par cracher à Marion tout en se tournant vers la portière, tremblante, apeurée et angoissée. La Puce avait peur des retentissements que tout ça allait avoir sur elle et toute sa vie il lui avait suffit d’un craquement pour qu’elle ferme fort les yeux tout en rentrant son crâne dans ses épaules. Elle était habituée à tant de violence et de souffrance qu’elle s’attendait à tout, surtout venant de la part de Marion. Elle s’imaginait déjà étranglée, morte, balancée quelque part parmi les déchets et souvent elle s’était dit que c’était peut-être mieux ainsi et que la vie ne valait de toute façon pas la peine d’être vécue si c’était pour vivre comme ça.


Charles posa la main sur la poignée qui lui aurait servi si elle avait voulu s’enfuir à nouveau mais elle n’eut pas le courage cette fois et pleurnicha de plus belle tout en posant son front contre la vitre gelée, les sanglots comme un appel à l’aide pour musique de fond. « Si au moins j’avais pu crever, t’aurais été plus tranquille. Je suis désolée Marion, tellement désolée… » Répéta la petite qui n’eut pas la force de sortir et qui resta plantée là, attendant que ça se passe, comme d'habitude.  
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Lun 4 Jan - 14:04

Se nourrissait-elle seulement ? D’autre chose que de speed ? Marion connaissait par cœur les effets de cette drogue sur le corps d’une femme. Il en gavait certaines de ses danseuses lorsqu’elles étaient trop éreintées par le travail ou qu’il les jugeait trop grasses pour pouvoir se déhancher correctement sur les cuisses des clients. Si certaines radasses portaient à merveille les kilos en trop, la plupart de ses filles se vendaient mieux quand elles avaient la taille fine mais les fesses pleines, un savant mélange qui s’obtenait en leur coupant la faim et en usant leur cul à coups de reins. Les amphétamines les rongeaient rapidement, creusant le ventre, révélant les côtes, ne laissant parfois qu’un peu de chair sur les os. Il n’aurait pas été étonné que la gosse enfoncée dans le siège à ses côtés lui révèle s’en coller plusieurs grammes dans les narines chaque jour tant elle paraissait maigre. Bien plus que la dernière fois qu’il l’avait vue.

La Puce parut excédée, soit qu’il avait mis le doigt sur une vérité qu’elle peinait à s’avouer, soit qu’il venait d’ébranler violemment le peu d’égo et de dignité qu’elle s’autorisait encore. De lourdes larmes roulèrent sur ses joues, creusant des sillons sur sa peau si pâle, comprimant le palpitant essoufflé de rage du trentenaire.

« J’y crois pas… Tu me prends pour une droguée ?! »

Le squelette se désaxa pour mieux se tourner vers elle. Une épaule enfoncée dans son siège, il considéra d’un œil noir le minois tordu de chagrin, de colère et de déception de la petite. Les nombreuses taches de rousseur qui le constellaient avaient une inflexion triste, et il remarqua douloureusement qu’il y avait bien longtemps qu’il ne l’avait vue sourire ou entendue rire aux éclats.

« Je suis PAS une droguée Marion ! Et j’ai toujours été maigre, c’est mon corps qui est habitué comme ça. Mais… T’as jamais remarqué ? Ah non, excuse moi, t’étais trop occupé à vouloir tuer mon père ou tabasser notre mère. »

Les tympans du proxénète vrillèrent brutalement. Il n’avait pas de mère et n’en avait jamais eue. Le cadavre qu’ils avaient mis en bière un an plus tôt était celui de sa génitrice, tout au plus. Une chienne, camée jusqu’à l’os. Une gamine stupide qui s’était fait engrosser, n’avait pas voulu du rejeton, mais avait bien dû s’en accommoder. Et quelle accommodation ! Dieu seul savait comment Marion avait tenu, comment il avait survécu sans une bribe d’intérêt ou d’amour maternel. Il lui devait d’être né, mais rien d’autre. Pas même le respect. Là résidait la principale différence entre sa demi-sœur et lui : Charles s’accrochait toujours et encore à la croyance idiote qu’elle était redevable à Holly pour l’avoir mise au monde, quand elle aurait dû la haïr du plus profond de son être. La Puce, elle aussi, n’était qu’un accident de plus entre deux prises d’héroïne.

« Désolée Marion si je suis pas nette, si je suis pas comme tu voudrais que je sois mais va falloir t’y faire. Oh, j’y pense, désolée j’ai menti, attend. »

Il battit des paupières quand la petite lui lança un pochon presque vide. Il n’était pas sûr de pouvoir récupérer un malheureux gramme d’herbe s’il raclait les parois, et pourtant l’odeur douce d’agrumes emplit l’habitacle de la voiture.

« Je suis obligée de fumer ça pour éviter de me rappeler tous les soirs que TU m’as abandonnée et que c’est pour ça que ça tourne pas rond chez moi. »

Un sifflement méprisant passa entre les dents du tatoué. Il fouilla le vide-poche entre leurs sièges pour récupérer le paquet de sans-filtres qui traînait là et s’en cala une au bord des lèvres. Le crissement caractéristique de son zippo se fit entendre quand il alluma son clou de cercueil.

Elle n’avait pas idée du poids de ses mots, moins encore de l’amertume qui lui creva le cœur à les entendre crachés de la sorte. La Puce n’était encore qu’une enfant quand on lui avait retiré toute chance de pouvoir en récupérer la garde. Qu’un petit bout de rien qu’il aimait plus que tout, auquel il aurait voulu donner une vie. Mais le Juge, Holly et son connard de dealeur s’étaient acharnés à l’éloigner d’elle à grands coups d’ordonnance restrictive. Ils n’en seraient pas là aujourd’hui si ce foutu papier ne s’était pas tenu entre eux. Tout aurait été différent si Marion s’était contenté de planter une balle entre les deux yeux du père de Charlie, ce soir-là. Jamais cette pourriture et la pouffiasse qu’il ramonait n’auraient pu appeler les flics s’il les avait crevés tous les deux. Jamais cette salope de la protection de l’enfance n’aurait arraché la gamine à ses bras. Jamais la prison ne l’aurait empêché de voir les yeux verts de son bébé. Il se serait sans doute comporté différemment s’il avait été son tuteur légal. Il aurait peut-être pu éviter son second séjour en cabane. Elle aurait pu grandir à ses côtés. Il aurait pu assister à ses spectacles de danse, ses concerts, ses compétitions d’équitation ou ses concours d’éloquence. Il aurait effrayé son premier petit ami et le dernier. Il aurait été là à sa remise de diplôme et l’aurait déposée pour son premier jour d’université. Elle n’aurait jamais manqué de rien, surtout pas de tout l’amour qu’il lui portait. Comme leur vie aurait été différente s’il s’était sali les mains. Si.

Marion n’avait jamais tant regretté d’avoir épargné quelqu’un.

« Tu recevras les sous dès que je les aurais, larmoya-t-elle finalement. »

Charlie se détourna, collant son front contre la vitre passager, les yeux et le nez rouges d’avoir pleuré. Il crut un instant qu’elle allait s’en aller, claquer la porte de la voiture et mettre un terme définitif à leur relation. Mais les doigts maigrelets, suspendus à la poignée, ne l’actionnèrent pas. Elle se contenta de lâcher un brûlot crasse qui acheva une bonne fois pour toutes les résistances du chauve.

« Si au moins j’avais pu crever, t’aurais été plus tranquille. Je suis désolée Marion, tellement désolée…
- Tu devrais apprendre à la fermer plutôt que de dire des conneries pareilles, vomit-il en même temps qu’une épaisse colonne de fumée. Putain t’es pire qu’une adolescente ingrate. Tu sais où tu peux te la carrer, la carte de l’abandon ? Estime-toi heureuse de m’avoir eu ; tu serais pas là pour chialer si j’avais pas été là pour m’occuper de toi et recadrer tes géniteurs de temps à autres. Tu crois qu’ils t’auraient torché le cul, eux ? Tu crois qu’ils se seraient fait chier à te faire manger ? Il fulminait, sa voix faisant presque vibrer les vitres. Elle a jamais pris soin de toi, ta mère, parce qu’elle en avait rien à foutre de ton existence. Le seul pour qui tu comptais, c’était moi. Je t’ai pas abandonnée, j’ai juste fait ce que j’ai pu pour t’assurer un semblant de vie alors que j’étais qu’un gamin moi-même et qu’on me foutait des putain de bâtons dans les roues. C’est pour ça que ça tourne pas rond chez moi, répéta-t-il avec dédain. Tu t’es déjà demandé comment ça m’avait crevé de devoir te laisser chez tes vieux toutes ces années ? Ou d’avoir à te flanquer dans les pattes d’un des gars de Van pour m’assurer que tu finirais par par claquer sous un pont ou d’une overdose comme ta salope de mère ? J’avais pas vraiment le choix, tu vois. J’étais en conditionnelle, j’avais interdiction de t’approcher. On te trouvait chez moi, je repartais en cabane direct. Et merde, autant dire que tu m’aurais certainement plus revu de ta vie. Mais t’as jamais pensé à ça, pas vrai ?! T’as jamais été foutue de réfléchir. T’es qu’une petite conne égoïste qui pense que le monde tourne autour d’elle. Réveille-toi, Puce, t’es pas la seule à morfler ici-bas. On est tous des sous-merdes qui prennent cher. La seule différence, c’est que je pensais pas qu’à ma gueule, quand je t’abandonnais. Toutes mes putain de décisions, je les ai prises dans ton intérêt. »

Il s’enfonça dans son dossier et tourna la clé dans le contact pour faire vrombir le moteur de la vieille voiture. Le grondement sourd des chevaux fut quelque peu étouffé par la pluie lorsqu’il pressa l’accélérateur pour s’éloigner au plus vite et lui retirer toute opportunité de quitter l’auto sans avoir à sauter en marche.

« Pas besoin de pointer à ton boulot demain. Si t’es capable d’astiquer le sol d’une école primaire, t’arriveras probablement aussi à le faire au Naughty. Je te veux dans les parages pour pouvoir te garder à l’œil et m’assurer que la thune que tu me dois arrive rapidement dans mes poches. Tu recevras pas plus que la greluche qu’il va falloir que je vire pour te filer sa place, c'est-à-dire une misère. Je ponctionnerai directement un tiers, tu te démerderas avec le reste. »
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Lun 4 Jan - 14:07

C'était pire que de se noyer, pire que de brûler vif ou de se faire étrangler. Les sensations qui prenaient les tripes de la Puce lui firent un mal de chien et les larmes qui traversaient son visage matérialisaient très bien les émotions qui la ravagèrent à cet instant précis. Elle suffoquait, manquait terriblement d'air dans cette caisse qui sentait maintenant l’herbe et dont l'oxygène restant fut rapidement remplacé par la fumée épaisse et blanche d'une des cigarettes de Marion. Charlie toussota une ou deux fois avant d'essuyer l'une après l'autre ses joues endolories par la tristesse et dont les rougeurs s'intensifiaient à mesure qu'elle y passait frénétiquement ses manches. Elle savait la portée de ses mots et la significations de ces derniers; savait la dureté, l'amertume et la colère qu'ils pouvaient engendrer mais on ne pouvait pas lui enlever ça à la gamine, c'était toujours étonnement limpide dans sa bouche et c'était peut être aussi ce qui lui faisait toujours défaut.

Le squelette qui se trouvait à côté d'elle ne lui sembla jamais aussi éloigné qu'à ce moment précis et sans enlever son crâne de la vitre, la gosse pivota légèrement pour se prendre en pleine gueule la bourrasque qu'il voulait bien lui asséner, les paupières plissées par ses sourcils qu’elle fronçait peut-être pour amortir elle-même le choc. Les éclairs avaient laissé place à la foudre et les grands yeux clairs de la petite se plantèrent dans ceux de son frère comme si d'un simple regard elle pouvait atténuer la rage qui émanait de lui. Il n'en fut rien puisqu'un flot d'immondices se déversèrent sur elle comme la pluie qui battait le pare-brise. C’était aussi violent que ce qu’elle avait pu lâcher juste avant et si on s’était amusé à compter les points que chacun avait gagnés, il y aurait eu un partout.

Charlie aurait voulu lui dire qu'elle savait et que ce n'était pas vraiment à lui qu'elle en avait voulu toutes ces années  mais bien à la terre entière pour avoir séparé deux êtres qui s'aimaient comme eux s'aimaient. Mais elle ne put placer un seul mot, devait se la fermer quand Marion semblait essoufflé tant il déballait son sac tout en l'insultant de temps à autres. Et il avait raison dans le fond, elle n'était qu'égoïste quand il semblait être celui qui avait tout fait pour elle. Mais il fallait un responsable à sa vie de merde, l'une était crevée, l'autre était justement en train; Marion semblait être le dernier sur sa liste et Charlie se devait de lui faire bien comprendre.

La gorge de la Puce n'avait jamais été si serrée, ou du moins, c'était l'impression que son corps lui donnait. Il y avait eu mille fois où sa carcasse toute entière avait été mise à rude épreuve mais du plus loin qu'elle puisse se souvenir, elle ne se rappelait pas d'avoir été un jour aussi douloureuse. Elle déglutit avec force, tenta de calmer sa respiration et les fourmillements qui lui picotaient les lèvres et le bouts des doigts tout en se rendant compte qu’elle était incapable de répondre quoi que ce soit. Sa mâchoire tremblait de concert avec ses mains et si elle n’avait jamais connu la sensation d’être empalée vivante, c’était tout comme.


C’était presque un soulagement d’entendre un autre son que la voix rauque et grasse de Marion qui grondait, même si les ronflements de la voiture signifiaient qu’elle était condamnée à le suivre.
Sans faire le moindre mouvement, la gamine resserra son sac contre elle, regardant dans le vague comme si ça suffirait à faire passer le choc.

Un silence embauma l’espace et si les battements du cœur de la petite prirent toute la place dans son esprit, il y avait aussi les souvenirs qui affluaient un à un à la lisière de son crâne. Bien sûr que tout le monde morflait et que la douleur qu’elle ressentait était commune à beaucoup de personnes mais il s’agissait d’elle et il s’agissait aussi de Marion, il ne pouvait décemment pas les comparer à quelqu’un d’autre. A la différence du mort-vivant, Charlie se sentait seule tous les jours de sa putain de vie, elle n’avait pas de Stew avec qui elle pouvait affronter ses démons et ceux des autres qui croisaient sa route. Elle n’avait pas non plus de collègue sur qui se reposer et sur qui s’appuyer. Donc, son frère n’avait aucune putain de raison de comparer sa propre douleur à la sienne.

Le petit museau rougi de Charlie se tourna vers son frère uniquement quand il reprit la parole et elle l’écouta avec attention puisqu’il voulait lui refourguer un boulot qui remplaçait celui qu’elle avait déjà. Elle fronça les sourcils d’incompréhension d’abord puis entrouvrit sa bouche pâteuse ensuite, surprise de ce qu’il avançait.

« D’accord Marion. Fit-elle, étonnement sans se rebeller et sans dire un mot. Mais qu’est-ce que je vais dire à l’école ? » Elle qui n’avait jamais quitté un travail, s’étant toujours fait virer, se retrouvait bête face à la situation que son frère lui proposait.

***

Arrivés dans les bas-fonds de Chicago, Marion gara sa tire et la Puce ne tarda pas à sortir, l’air lui manquant terriblement. Elle se prit à nouveau la pluie mais n’y prêta guère attention et marcha après avoir claqué la portière, n’attendant pas son frère pour prendre le chemin de l’appartement puisqu’elle le connaissait déjà très bien. Charles finit par attendre sagement devant la porte que le squelette insère la clef dans la serrure et entra dès qu’il était possible. Un petit chien l’accueillit et elle qui était pourtant toujours très heureuse de le câliner, le laissa de côté au grand dam du canidé qui tenta plutôt de faire la fête à son maître. Peu de chance pour qu’il réussisse à obtenir quoi que ce soit des deux Marshall ce soir-là.

La Puce s’avança jusqu’au canapé, déposa ses affaires sur ce dernier et tourna les talons en direction de Marion. « Est-ce que je peux prendre une douche ? » Demanda-t-elle en tirant quelques affaires de son sac.
Quand elle eut l’autorisation, la gosse prit s'en alla vers la salle de bain et ferma la porte à double tour, soupirant une sorte de soulagement qui laissa la paix à sa grande toquante l’espace de quelques secondes seulement. Elle se déshabilla, planta sa carcasse devant le miroir et observa son propre reflet à la recherche d’une différence qu’elle pourrait avoir avec la camée que son frère supposait qu’elle était. Sa peau était mouchetée de quelques hématomes par-ci, par-là, uniquement présents à cause de sa maladresse et ses os semblaient transpercer son épiderme tant il ne restait rien d’elle. Un soupir traversa ses lèvres alors qu’elle accorda à Marion qu’elle ressemblait de plus en plus à Holly. Seulement en apparence, il fallait bien qu’elle se rassure. Elle comprit soudain l’inquiétude qui avait teinté la voix de Marion et elle se ravisa, regarda ses pieds en se mordillant les lèvres puis s’en voulait à mourir d’avoir été une sœur si indigne.

La gosse passa sous une eau cette fois-ci brûlante et se mit à frotter son corps frénétiquement, comme pour se débarrasser de toutes les saletés qu’elle avait bien pu dire à son frère, non très adepte du savon dans la bouche. Elle passa plus de temps sous la douche que ce qu’il leur avait fallu pour regagner l’appartement en voiture et lorsqu’elle retrouva le salon, vêtue d’un long t-shirt en guise de pyjama, elle lança un regard à Marion et finit par lâcher: « T’auras qu’à retenir la facture d’eau sur mon salaire. »
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Lun 4 Jan - 23:57

Licencier une employée quelconque ne le touchait pas. Il se fichait bien de savoir s’il mettait en difficulté une mère célibataire avec trois enfants à charge qui s’était longtemps rêvée danseuse étoile, ou une pauvre gosse qui suait chaque jour en effaçant les traces de foutre pour rembourser son dealeur. Personne n’était irremplaçable dans les affaires, ni les femmes de ménage dont il oubliait généralement le nom, ni les videurs qui changeaient fréquemment parce qu’ils ne se rappelaient pas toujours leur place, pas même lui - la mort de Van n’avait-elle pas prouvé qu’il suffisait d’un successeur pour que le monde continue de tourner ? Les danseuses ne trouvaient guère plus de grâce à ses yeux : il en gardait certaines jalousement parce qu’elles lui rapportaient gros autant que pour s’éviter d’avoir à en trouver de nouvelles. Fondamentalement, congédier les moins douées ne lui faisait aucun effet. Il se fichait bien que ses filles retournent à la rue ou terminent au fond d’un caniveau, quelle importance pouvait donc avoir une simple bonniche ?

S’il aurait préféré la savoir au Purple H plutôt que d’évoluer dans les bas-fonds d’East Garfield Park, le proxénète ne passait pas suffisamment de temps en haut de sa tour d’ivoire pour pouvoir scruter les moindres faits et gestes de la Puce. Il se rassurait, d’une certaine manière, en se disant que les horaires diurnes de sa sœur ne lui permettraient pas de croiser les danseuses. Balayer les miettes de leur dignité suffirait largement, elle n’avait pas besoin de voir leur misère en prime. Savoir que la prostitution existait était bien différent de la regarder chaque jour dans les yeux ; Charlie n’avait pas le cœur suffisamment accroché pour supporter ce spectacle sordide.

« D’accord Marion. Mais qu’est-ce que je vais dire à l’école ? »

Il eut un soupir à mi-chemin entre l’exaspération et l’étonnement avant de se rendre compte du sérieux de sa question. Marion tourna de grands yeux surpris vers la petite avant de les reporter sur la route. À la vitesse où il conduisait, et bien qu’habitué à conchier les limitations, il valait mieux ne pas ignorer l’asphalte trop longtemps de peur de s’encastrer dans un platane ou un piéton idiot qui n’aurait pas vu arriver la muscle car.

*


Le trafic n’était pas assez perturbé à cette heure de la soirée pour leur infliger de trop longues minutes d’un silence pesant ; ils arrivèrent bien vite devant la façade de briques derrière laquelle se terrait Marion lorsqu’il n’était pas dans l’un de ses temples du vice. La Puce fut la première à quitter la voiture. Immédiatement trempée par les cordes qui les assommaient gaiement, elle claqua la portière, non sans provoquer chez son aîné un frisson de désagrément. Les mains raides sur le volant, il se retint de lui beugler d’être un peu plus doux avec une tire plus âgée qu’eux deux réunis.

Le tatoué passa ses mains sur son crâne pour essuyer les lourdes gouttes de pluie qui s’y étaient enfoncées lorsqu’il fut à l’abri. Il eut à peine le temps de voir la Puce filer à l’étage sans prêter la moindre attention au Sac à Puces qui se pressait pour venir les voir. Marion l’ignora une seconde et, se prenant les pieds dedans comme il réclamait de l’attention, résolut de le saluer en le congratulant d’un chapelet de jurons auquel il répondit en jappant. Con de chien. Il avait fallu que Liz choisisse le plus idiot de la portée.

Il abandonna ses chaussures et son blouson en bas de l’escalier, récupéra les biens qui traînaient dans ses poches et grimpa les marches deux par deux, le clébard sur ses talons. Les affaires de la petite étaient déjà posés sur le canapé, et elle en tirait quelques bricoles en demandant :

« Est-ce que je peux prendre une douche ?
- Tu connais le chemin. »

Le verrou cliqueta dans un tintement métallique et Marion, l’œil vers la porte de la salle-de-bains, attendit sagement d’entendre l’eau couler pour s’approcher du sac de sa sœur. Il n’avait jamais été particulièrement intrusif avec elle, n’avait jamais fouillé sa chambre pour trouver son journal intime, et ne savait en réalité pas même si elle en avait jamais eu un. Pour la première fois, cependant, il se sentit le besoin de vérifier qu’elle ne traînait rien d’inquiétant dans son maigre paquetage. Il voulait bien croire qu’elle ne se piquait pas, qu’elle se cantonnait à l’herbe, mais ses tripes lui intimaient que quelque chose n’allait pas. La manière dont elle avait réagi, cette docilité brusque, presque inquiétante … Il retourna ses affaires sans ménagement, fouillant les poches des pantalons autant que celles du sac, cherchant dans les rares paires de chaussette, triturant la toile à la recherche d’une doublure cachée, ouvrant la petite trousse qui lui servait de porte-monnaie. Mais rien. L’inquiétude ne passa pourtant pas.

L’investigateur du dimanche replia les vêtements malmenés et remit un peu d’ordre dans le bordel qu’il venait de mettre. Il referma le sac, traversa le salon pour le jeter sur son lit depuis le seuil de la chambre et revint sur ses pas. Filant vers la cuisine, Marion se décapsula une bière qu’il vida presque immédiatement. Il s’appuya au plan de travail, les paumes bien à plat sur le béton usé par les années, poussa un long soupir et tendit l’oreille : l’eau coulait encore sous la douche.

Il finissait tout juste un dernier sandwich au beurre de cacahuète et à la confiture quand la porte de la salle-de-bains s’ouvrit. Silencieuse comme un courant d’air, la Puce s’approcha doucement. Elle semblait minuscule dans son t-shirt trop long, et le souvenir brusque de ses petites jambes de bambin s’empêtrant dans un haut de grand lorsqu’elle n’était qu’un petit être à peine plus haut que trois pommes lui sauta à la gorge.

« T’auras qu’à retenir la facture d’eau sur mon salaire.
- Je suis pas à deux dollars près … »

Il n’avait jamais été plus avare que cela, bien au contraire, et ne comptait pas chaque sou pour s’en sortir à la fin du mois. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait plus besoin de s’inquiéter des factures ou d’un loyer à payer. Il perdrait plus de temps à relever le compteur d'eau pour savoir dans combien de litres la Puce s'était noyée qu'autre chose.

« Tu veux regarder quelque chose ? J’ai Netflix et Prime. Et Disney + … Le clebs aime bien regarder des dessins animés à la con, ajouta-t-il pour se dédouaner. »

Quelque peu radouci, Marion franchit les dix pas qui les séparaient pour lui tendre l’assiette qui lui était destinée. Deux sandwichs et une pomme tranchée en fins quartiers suffiraient sans doute déjà à la caler. Il voulait bien la noyer sous une montagne de pop-corn si elle en faisait le souhait, ou lui cuisiner un vrai repas avec ce qu’il restait dans son réfrigérateur. Le trentenaire avait toujours été bon cuisinier. Déjà jeune, il se débrouillait pour se nourrir décemment, mais son séjour à l’ombre avait cloué dans son esprit la nécessité de prendre soin de son estomac - à défaut de savoir entretenir correctement son foie. Quand on avait passé cinq ans de sa vie au violon à se nourrir de plats de cantine peu ragoûtants, le loisir de se mijoter de bons repas devenait une passion.
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Dim 10 Jan - 11:15

La petite regardait l’eau s’écouler rapidement dans le bac de douche pour rejoindre les sous-sols et elle réfléchit longuement, se réconfortant en se disant qu’au moins, elle n’aurait pas à se soucier du confort qu’elle pourrait avoir cette nuit-là, ou de l’heure à laquelle elle devait se sauver le lendemain. Elle détestait Marion à cet instant parce qu’il l’avait mise plus bas que Terre et que sa dignité en avait pris un grand coup mais d’un autre côté elle se sentait en sécurité dans cet appartement dont elle avait franchi la porte tant de fois plus petite. Elle n’avait aucun mauvais souvenirs ici ou peut-être les maigres fois où ils s’étaient pris le bec pour des conneries mais au final, c’était ici que la jeune femme se sentait le mieux.

Elle referma le robinet, essora ses cheveux comme elle le pouvait avant de poser un pied sur le tapis de douche et d’attraper la serviette qu’elle avait préparée auparavant pour s’emmitoufler dedans. La salle de bain était devenue un vrai sauna, la vapeur avait envahi la pièce et le miroir ne reflétait plus rien. Elle se posta néanmoins juste devant et passa sa main pour en effacer la buée. La brune s’observa un long moment à nouveau et accorda à son frère qu’elle était si mince qu’elle aurait pu se cacher derrière n’importe quoi qu’on ne l’aurait jamais retrouvée. Charlie soupira, finit de s’essuyer et passa son t-shirt/pyjama avant de sortir de la salle-de-bain qui commençait à la faire suffoquer puisqu’il y faisait au moins trente-cinq degrés. Le changement de température la frappa mais lui fit du bien et elle finit par s’approcher timidement de Marion, appuyé contre l’un des plans de travail de la cuisine, avant de relever ses billes émeraudes vers lui.

« Je suis sûre que c’est Stew qui regarde Disney +. » Difficilement, un sourire se dessina finalement sur les lèvres de la petite qui se mit à observer l’assiette que son frère lui tendait. Elle adorait plus que tout le beurre de cacahuète et ça faisait une éternité qu’elle n’en avait pas eu le goût dans la bouche, ce qui lui valu une faim instantanée. « Du beurre de cacahuète ! » Fit-elle en attrapant le plat mais s’éclaircit la gorge lorsqu’elle se rendit compte qu’elle avait été un peu trop enthousiaste face à son frère qui lui avait soufflé dans les bronches pas si longtemps avant. « Ouais, on peut aller regarder la télé. » Fit-elle avant de se mouvoir jusqu’au canapé sur lequel elle s’installa en tailleur, l’assiette sur le haut des cuisses et le clébard qui quémandait certainement un petit bout de son festin. Du plat de sa main, la petite tapota la place à sa gauche et le chien s’y hissa non sans difficulté, l’arrière-train qui gigotait sans cesse. Charlie découpa consciencieusement un petit bout de pain qu’elle lui tendit et qui ne fit pas long feu face à la bestiole. A son tour, la Puce dévora chacune des tartines avec une rapidité déconcertante. Non seulement elle adorait le beurre de cacahuète surmonté de confiture mais aussi, tout ce remue-méninges lui avait filé une faim de loup. Elle déposa ce qu’il lui restait entre les mains sur la table basse et se cala au fond du canapé sans prêter attention au tatoué qui s’installait à son tour. « On peut regarder Netflix, y’a une série que je voudrais voir… Ça parle d’une fille qui joue aux échecs. » Le minois de la jeune femme se tourna doucement vers son frère, attendant presque son approbation.

***

Les bras encadrant le bestiaux qui ronflait, la gamine ne tarda pas non plus à rejoindre les bras de Morphée après seulement quarante minutes de série. Cette dernière n’était pourtant pas barbante à ce point mais force était de constater que le sommeil manquait à la brune et que dans cette ambiance tamisée, tout était réuni pour qu’elle sombre jusqu’au pays des rêves.
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Sam 16 Jan - 3:34

Le cuisinier amateur n’avait cependant que rarement l’occasion de partager son talent, non qu’il ne voulait pas remplir la panse de ses proches, plutôt que le temps finissait par manquer, puisqu’il s’inventait d’autres priorités. Il lui arrivait somme toute de passer derrière les fourneaux pour sa régulière, ou plus simplement pour Stew. Marion tentait, depuis des années, de percer le mystère du ragoût que leur cuisinait la belle-doche. En vain. Il expérimentait, ajoutait des ingrédients, en retirait certains, changeait les dosages, s’acharnait à chaque bouchée pour trouver le secret qui rendait si bon une potée dont il avait pourtant la recette. À force d’échecs, il en venait à croire que le goût si caractéristique du plat ne venait pas d’un élément particulier mais de la marmite dans laquelle la génitrice de son mari faisait mijoter la préparation. L’explication ne pouvait venir que de là. Son esprit trop rationnel ne pouvait imaginer que la douceur si particulière du ragoût existait davantage dans son esprit et son cœur que sur ses papilles gustatives.

La Puce, après avoir remis en question les goûts cinématographiques de Stew dont les oreilles devaient siffler, lorgna l’assiette qu’on lui tendait. Un éclair de surprise passa dans ses yeux verts, et son regard s’éclaircit.

« Du beurre de cacahuète ! »

Il l’en gavait lorsqu’elle était enfant, puisqu’elle ne réclamait presque que cela. La Puce avait toujours eu la peau sur les os, même lorsqu’il tentait de la remplumer, et Marion avait bien vite compris qu’elle préférait un peu de pâte d’arachide complétée de confiture qu’une assiette trop élaborée. On lui menait la vie suffisamment dure, alors, pour qu’il tente de la dégoûter davantage en la forçant à manger des légumes verts La simplicité d’une tranche de pain tartinée avec amour avait finalement plus de saveur que tous les plats de grands chefs.

La gamine se racla la gorge quand elle eut tiré l’assiette à elle avec empressement. Ses sourcils se froncèrent à nouveau, son nez se plissa, ses prunelles claires reprirent leur lueur terne, comme si elle se laissait volontairement couler dans une mauvaise humeur nécessaire à la survie de son égo.

« Ouais, on peut aller regarder la télé, lâcha-t-elle avec détachement. »

Marion ne chercha pas à ajouter de l’huile sur le feu, se contentant au contraire de sortir une bière du réfrigérateur avant la suivre. Installée sur l’immense canapé d’angle, la Puce mordillait déjà ses sandwichs. Elle tapota le cuir ses côtés pour inviter le carlin à grimper. Trop heureux de recevoir enfin le rien d’attention qu’il quémandait désespérément, le cabot ronfla de plaisir en s’étalant de tout son petit long à côté de la brune. Le proxénète prit place à son tour, se laissant choir entre les coussin, se demandant qui, de son ex ou de lui, avait rendu l’animal si dépendant de la moindre affection. Sans doute était-ce sa faute, Liz n’ayant pas eu le temps de le corrompre.

L’assiette tinta doucement sur la surface de la table-basse quand on l’y déposa. Marion attrapa la télécommande du téléviseur et la manette de la PlayStation pour lancer les différentes plateformes auxquelles il était abonné. Il lança un regard en coin à sa sœur qui faisait un choix :

« On peut regarder Netflix, y’a une série que je voudrais voir… Ça parle d’une fille qui joue aux échecs.
- On peut faire ça. »

Il avait entendu parler de ce programme de nombreuses fois depuis sa sortie. Comment diable aurait-il pu y couper quand le monde ne parlait que de cette série ? Les métros étaient placardés en quatre mètres par trois du minois pour le moins agréable à regarder d’une jolie rousse derrière son échiquier. Où qu’il se trouvait, il avait la sensation d’être transpercé de part en part par les grands yeux noirs de la joueuse et, s’il échappait à son regard, il pouvait être sûr d’entendre quelqu’un susurrer quelque louange à l’égard du Jeu de la Dame.
Le premier épisode passa à une vitesse affolante. Tout plu au trentenaire : de l’esthétique au scénario, du choix des acteurs aux dialogues. Il s’apprêtait à lancer la suite quand il remarqua les paupières closes et les petits poings serrés de la Puce. Sa respiration si tranquille, couverte par celle du chien, lui comprima le palpitant. Marion se leva sans un bruit, débarrassa l’assiette et sa bière vide, passa discrètement un coup d’éponge sur la table du salon puis s’accroupit devant sa sœur pour la réveiller. Il lui secoua doucement le bras pour ne pas l’effrayer et, quand Morphée accepta enfin de la relâcher, la traîna sans violence aucune jusqu’à la chambre à coucher.

« Tu peux rester ici quelques jours, souffla-t-il en s’asseyant à même le plancher, le dos posé contre la table de chevet qui bordait le côté du lit où elle s’était affalée. J’ai vaguement cru comprendre que t’avais plus d’appartement … »

Le tatoué passa brièvement une main à l’arrière de son crâne en soupirant avant de poser ses avant-bras sur ses genoux et ses yeux glauques sur la Puce. Les lumières tamisées creusaient des ombres inquiétantes sur le visage de la petite. Ses cernes marqués semblaient plus profondes encore que lorsqu’il l’avait cherchée, ses pommettes saillantes lui rentraient dans les joues, amplifiant l’impression de maigreur qui se découpait sur ses traits.

« Faut que t’arrêtes de faire des conneries, Puce. Que tu commences à être responsable, à te comporter comme une adulte. Je peux pas être là à chaque fois. Il se corrigea : je ne pourrais pas toujours être là pour réparer les pots cassés. Même si je le voulais, y aura bien un jour où je serai plus en mesure de le faire. Tu comprends ? Trouve-toi un vrai boulot et tiens-le. Commence à économiser, paie-toi un bon appartement, j’en sais rien … Mais fais quelque chose. Reprends-toi. T’en as pas envie ? »
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Sam 16 Jan - 19:33

Charlie avait sombré jusque dans les bras de Morphée avec une facilité déconcertante, plus facilement encore que le chien de son frère qui ronflait toutes les deux secondes et demies exactement. Il y avait le manque de sommeil et le stress éreintant qui la couvrait chaque jour de son existence, bien qu’elle ne le montrait jamais à personne. Ne pas avoir de toit était une chose, tout ce que cela impliquait en était une autre. Elle devait compter sur ses “amis” pour l’héberger et quand elle n’avait plus envie de déranger, créchait dans le hall d’un immeuble dont le verrou de la porte d’entrée ne permettait plus que personne n’entre. C’était difficile pour une jeune femme qui commençait à peine à entrer dans la vraie vie mais Charles avait au moins le mérite de toujours persévérer malgré les contraintes. La contrainte ici était le fait de n’avoir que très peu d’argent pour survivre étant donné que la gamine s’obstinait toujours à aider son père qui ne l’avait jamais reconnue, ni même aimée un temps soit peu. La petite Marshall, qui avait hérité de l’impétuosité de sa mère, s’était découverte aussi généreuse qu’aucun de ses géniteurs et c’est ce qui causait présentement sa perte.

Cependant, elle n’avait pas osé déballer son sac à son frère et c’était parfaitement logique; lui qui détestait son paternel plus que quiconque au monde, n’aurait certainement pas supporté de savoir qu’il était la cause de la pauvreté de la Puce et que c’était donc de sa faute si elle se retrouvait avec des traits à couper aux couteaux comme elle les portait. C’était son secret, à la petite, ce qu’elle ne pouvait décemment pas admettre et ce qui la rongeait depuis un long moment maintenant. Bien sûr, il y avait son père et dernièrement, le fait était qu’elle avait décidé de partir en vacance avec son amie et qu’elle avait dû, pour ça, voler son patron afin de payer son billet d’avion. C’était certainement une erreur, mais la semaine qu’elle avait passée avait effacé tout ce que cela impliquait, elle avait trouvé ça génial.



La brune sortit des bras de Morphée, doucement, comme les gestes que son frère avait eu envers elle à l’instant et machinalement elle replia son bras jusqu’au sommet de son crâne en se retournant tout en grommelant: « Mmmh pourquoi tu me réveilles… » Elle ouvrit soudainement les yeux avec le palpitant qui se mit à gronder. « Merde, il est quelle heure ? » Dit-elle, tout en se redressant, observant quelque peu les alentours puis se rassura en jetant un œil à l’heure qui s’affichait sur la box juste en dessous du téléviseur.

Marion et la Puce se dirigèrent vers la chambre et dès que la couette fut accessible pour elle, elle s’enfouit en dessous comme pour se réchauffer bien que les draps lui firent l’impression d’être retournée à la rue. Elle grelotta un instant en s’enveloppant de la couverture qui lui arrivait sous le nez et se mit à observer de ses tout petits yeux son frère qui s’asseyait juste à côté d’elle.

« Faut que t’arrêtes de faire des conneries, Puce. Que tu commences à être responsable, à te comporter comme une adulte. Je peux pas être là à chaque fois. Je ne pourrais pas toujours être là pour réparer les pots cassés. Même si je le voulais, il y aura bien un jour où je serai plus en mesure de le faire. Tu comprends ? Trouve-toi un vrai boulot et tiens-le. Commence à économiser, paie-toi un bon appartement, j’en sais rien … Mais fais quelque chose. Reprends-toi. T’en as pas envie ? »

Elle l’écouta attentivement bien que son cerveau restait embrumé par le sommeil qu’elle venait de quitter brutalement et soupira quelque peu juste quand il conclut.

« Oui, je comprends et je sais… J’ai essayé de faire tout bien comme il faut mais voilà… Ne me dis pas que t’as jamais fait d’erreur Marion… » Sa voix était si basse et si douce qu’on aurait dit une véritable enfant. « Tu sais ce que j’ai fait avec l’argent ?... Je suis partie en vacances avec une copine. Et tu veux qu'j' te dise ? Je regrette pas du tout parce que c’était génial, c’était la meilleure semaine de toute ma vie… Et je suis désolée pour le tort que ç’a causé à mon patron et à toi mais maintenant voilà, je vais faire tout ce qu’il faut pour m’en sortir, promis… Et je veux bien rester ici un peu, oui. » Pas qu’elle n’avait pas d’autre solution, mais un peu quand même.

Elle s’écarta de sa place initiale et jeta un œil à son grand frère. « Assieds-toi ici, ça sera plus confort… » Elle désigna la place qu’elle avait fait sur le lit en décalant son corps et redressa sur Marion ses grands yeux verts qui n’avaient plus rien du sommeil dans lequel elle s’était perdue. « J’ai pris l’avion pour la première fois et ç’a duré presque neuf heures. On est parti à Moscou, c’était trop trop beau et sa famille était trop gentille.. Je t’ai ramené un truc, passe-moi mon sac s’te plait. » Demanda-t-elle pendant qu’elle se mettait assise dans le lit.
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Mer 20 Jan - 1:24

Elle avait une vie ou deux devant elle et peu de réelles raisons de devenir grande. Il était bien plus facile, après tout, de se comporter comme une enfant que d’avoir à encaisser la violence d’une prise d’indépendance. C’était simple de sauter dans le vide lorsqu’on avait un parachute doré pour éviter de s’écraser misérablement sur le plancher des vaches … De parachute, pourtant, Marion n’en avait plus l’air. S’il avait longtemps été là pour prévenir les chutes de sa sœur, il ne se contentait plus aujourd’hui que d’amortir l’impact final, comme l’aurait fait un filet. Un filet solide dont il ne pouvait garantir la durée de vie. Viendrait un jour où le proxénète lâcherait ; on le forcerait à une retraite anticipée en le condamnant à la perpétuité ou en l’envoyant bouffer les pissenlits par la racine. Qu’adviendrait-il alors de sa Puce, quand il ne serait plus là ?

Marion fixa le parquet abîmé de sa chambre, s’enlisant dans ses pensées. Il ne pourrait éternellement demander à Stew de veiller sur sa sœur. Son double n’avait pas signé pour ça en l’épousant, quand bien même il avait accepté plusieurs fois cette charge sans rechigner, sans même que le proxénète n’ait à le lui demander. Kip ? Il le modelait à son image, lui apprenait les ficelles du métier, mais ne pourrait pour autant jamais lui abandonner un tel fardeau. Demander à un gamin de prendre soin d’une enfant à peine plus âgée n’avait aucun sens, aucune chance de réussite. Qui resterait-il ? Son incapacité chronique à faire confiance aux autres lui explosa à la gueule, ravivant dans l’explosion sa peur de la solitude. Elle l’écraisait plus encore à mesure qu’il se sentait fatiguer, se lassait des frasques de Charlie.

« Oui, je comprends et je sais… J’ai essayé de faire tout bien comme il faut mais voilà… Ne me dis pas que t’as jamais fait d’erreur Marion… »

Il hocha la tête en soupirant. Le tatoué aurait aimé lui rétorquer qu’il n’avait jamais rien fait de suffisamment stupide pour éclabousser les autres, mais ne se sentait pas d’humeur à mentir davantage. Pas quand son cerveau déroulait la liste interminable des hommes et femmes qui avaient casqué pour ses conneries, la Puce en tête. Son nom était inscrit en lettres capitales, surplombant tous les autres.

« Tu sais ce que j’ai fait avec l’argent, demanda-t-elle d’une petite voix d’enfant. Je suis partie en vacances avec une copine. Et tu veux qu'j' te dise ? Je regrette pas du tout parce que c’était génial, c’était la meilleure semaine de toute ma vie… Et je suis désolée pour le tort que ç’a causé à mon patron et à toi mais maintenant voilà, je vais faire tout ce qu’il faut pour m’en sortir, promis… Et je veux bien rester ici un peu, oui. »

Le squelette opina du chef. Si une partie de son âme s’attendrissait de l’entendre parler de son expérience de la sorte, un rien de rancune et de colère le forçait à ne pas se laisser avoir par cette comédie. La gamine savait se faire candide lorsqu’elle le voulait. Comme toutes les femmes qu’on réprimandait, elle pouvait changer son timbre de voix et la lueur dans ses prunelles pour qu’on lui accorde facilement le pardon.

« Assieds-toi ici, ça sera plus confort… »

Il se leva dans un râle. La terre était bien trop basse, à cette heure de la journée, le ciel affreusement hors de portée. Marion se laissa choir au bord du lit, le matelas s’enfonçant sous son poids. Il fixa sa sœur du coin de l’œil alors qu’elle s’agitait pour se redresser à son tour.

« J’ai pris l’avion pour la première fois et ç’a duré presque neuf heures. »

Quel diable l’avait piquée pour qu’elle s’enferme volontairement dans un cercueil de métal suspendu à plusieurs kilomètres au-dessus de la terre ferme ? Marion s’ébroua imperceptiblement, un frisson de dégoût rampant le long de son échine.

« On est parti à Moscou, c’était trop trop beau et sa famille était trop gentille.. Je t’ai ramené un truc, passe-moi mon sac s’te plait.
- T’aurais pu envoyer une carte postale, pour commencer. »

Il esquissa une grimace ressemblant vaguement à un sourire avant de se pencher sur le côté pour récupérer le maigre paquetage de la petite. Pour un homme qui n’avait jamais exploré que les limites de son continent - l’Amérique se restreignant à ses yeux aux sacro-saints États-Unis et au nord du Mexique -, voyager à l’autre bout de la Terre avait un parfum de fantasme. Traverser l’océan, ne savoir sous ses pieds qu’une immense étendue d’eau, fouler le sol chargé d’histoire du Vieux continent, traverser l’Europe de part en part en s’arrêtant dans chaque capitale, franchir les frontières de la Russie et pousser jusqu’à l’Oural … Bien-sûr, Marion avait vu les paysages de ce pays à travers les écrans, se les était figurés en lisant ses Tolstoï, les avait vécus dans le témoignage d’âmes plus aventureuses que la sienne. Il gardait jalousement une image mentale d’un Kremlin dont il n’aurait jamais la possibilité d’apprécier la grandeur, d’une Place rouge qu’il ne verrait jamais noire de monde, d’une cathédrale qu’il ne pourrait visiter. Le trentenaire nourrissait en son for intérieur l’intime conviction que ses rêves d’ailleurs ne se réaliseraient pas.

« C’est une chapka, demanda-t-il en lui lançant doucement son sac sur les genoux. »

Marion entendit les griffes érodées du chien cliqueter contre le sol du salon. Le Sac à Puces franchit le seuil de la porte avec une nonchalance toute particulière. Il se traîna jusqu’aux pieds de son maître et attendit qu’on daigne le poser sur le lit, ses yeux globuleux vides d’intelligence suppliant pour plus de rapidité. Le proxénète soupira lourdement, attrapa le chien et le laissa tomber sur la couverture, juste à côté de Charlie.
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Mer 3 Fév - 11:17

Le matelas rebondit à l’instant même où Marion y posa ses fesses et la petite accueillit dans le même temps le clebs dont le corps minuscule s’encastrait très bien entre elle et son aîné. La Petite s’acharna même à le caresser sans cesse, provoquant une transe profonde chez l’animal. Elle regardait plus le sac-à-puces que son propre frère et de toute évidence, le trouvait bien plus mignon que le squelette qui se trouvait de l’autre côté du lit. Le minois de la petite ne se releva qu’au moment de l’évocation de la carte postale et un blanc s’insinua dans la conversation. Non, définitivement non. Les cartes postales étaient proscrites dans sa tête et dans son âme, surtout si elles avaient pour destinataire Marion Marshall. Ca lui rappelait bien trop son enfance, ou tout du moins la partie la plus sombre, quand elle envoyait des lettres au papier coloré à destination de la taule et qu’elle n’apercevait jamais rien en retour. Puis elle repensa brièvement à la vieille voisine qui l’aidait à corriger ses fautes et qui devait s’arracher les cheveux en voyant sa dyslexie et ses difficultés à tourner ses phrases dans le bon sens sans pourtant ne lui avoir jamais rien dit si ce n’était “J’ai fait du gâteau, tu veux un chocolat chaud avec ça ?”.

La réalité retrouvée, la Puce secoua doucement le chef et se pinça doucement les lèvres. « J’ai pas pensé à la carte postale… Puis ça t’aurait pas vraiment fait plaisir d’en recevoir une. » Elle disait cela parce qu’elle savait très bien que Marion se serait inquiété et qu’il aurait certainement envoyé quelqu’un pour la récupérer, ou quelque chose du genre. Peut-être même qu’il serait venu la chercher lui-même, en personne. Le trentenaire se démembra pour récupérer le sac et le lui balança sur les genoux. Charlie fouilla rapidement à l’intérieur avant d’attraper au fond une boule de neige dans laquelle était refermée une petite structure à l'effigie de la Place Rouge. « Une chapka ? -Elle lâcha un petit rire cristallin- C’aurait pu mais c’était trop cher et en plus, ils utilisent de la fourrure de renard, j’ai trouvé ça dégueulasse. » Expliqua-t-elle avant de tendre la babiole à son frère. « Tiens… C’est pas grand chose mais c’est l’intention qui compte. » Et puis de toute façon, elle n’était pas sûre qu’il méritait plus !

Elle s’allongea de ton son long dans le lit et rabatta une main sous son crâne tout en regardant Marion. « Marion… Comment ça se fait que t’as jamais pensé à fonder une famille ? ‘Fin je veux dire, comment ça se fait qu’à 37 ans t’aies pas encore d’enfants ou une femme et tout ? Je sais qu’aujourd’hui la vie idéale se résume pas à ça mais des fois je me dis que ça serait super bien pour nous; pas toi ? » Cette idée était née en même temps qu’elle avait rencontré la famille nombreuse qui constituait les Azarov et elle avait soupiré cent fois de voir à quel point elle était jalouse de ça. Tout le monde avait l’air complice, s’aimant les uns les autres avec force et n’aspirant qu’à une seule chose: La stabilité de tous. Ce qui, en somme, était tout le contraire pour les Marshall.


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Jeu 18 Fév - 18:58

L’animal râla brièvement, signalant dans un retroussement de babines apathique qu’il n'appréciait guère qu’on le jette de la sorte. Boudeur, il s’affala de tout son court long, une moitié du boudin qui lui servait de corps sur Charlie, l’autre enfoncée dans la couverture. Le chien se trouva cependant bien heureux d’avoir atterri là ; la gamine lui assena une série de caresses qui lui fit bien vite oublier sa rancœur.

« J’ai pas pensé à la carte postale… Puis ça t’aurait pas vraiment fait plaisir d’en recevoir une. »

Marion haussa les épaules. Il y avait bien longtemps qu’il ne recevait plus de lettres. Les seuls courriers qui lui parvenaient concernaient des points administratifs, des factures à régler, ou de temps à autres un mot dégoulinant de haine qui le sommait de quitter le quartier, et qu’il jetait à peine la première phrase lue. Il oubliait, la plupart du temps, que son adresse avait été recensée comme celle d’un délinquant sexuel lorsqu’il s’était établi dans le coin. Sans doute son cerveau cherchait-il à occulter l’information pour ne pas remuer inutilement les souvenirs d’une partie de vie qu’il préférait effacer. Par chance, les petits papiers qu’on glissait affectueusement dans sa boîte-à-lettres le ramenaient régulièrement à la réalité en ravivant l’amertume de l’injustice.
Le tatoué ne se consolait qu’en se rappelant que la merdeuse qui l’avait envoyé à l’ombre s’était foutue en l’air, peu après sa libération sous conditionnelle. Sa lâcheté l’avait au moins préservée d’un nouveau face à face avec l’homme qu’elle avait accusé de viol. Mieux valait un suicide qu’un meurtre.

« Qu’est-ce que t’en sais ? »

Passées l’inquiétude et l’incompréhension de recevoir une carte de Russie quand il pensait sa sœur à Chicago, où il pouvait la garder à l’œil et la protéger, Marion se serait certainement plu à la lire. À redécouvrir son écriture. Ces petits détails qui trahissaient sa main. Il gardait encore, précieusement empilés dans une petite boîte métallique, les nombreux courriers que la Puce lui avait fait parvenir durant son séjour au violon. S’il ne les avait jamais relus, le trentenaire se rappelait parfaitement la couleur rose du papier, les dessins qu’il considérait comme des œuvres d’art, ses lettres qui s’entrechoquaient les unes aux autres. Il ignorait si elle bataillait encore avec ses problèmes de dyslexie mais se doutait bien qu'elle était plus assurée qu'à l’époque. Il n’aurait certainement pas reconnu son écriture, aujourd’hui.

« Une chapka ? C’aurait pu mais c’était trop cher et en plus, ils utilisent de la fourrure de renard, j’ai trouvé ça dégueulasse. »

Le proxénète lui lança un regard interrogateur. Militait-elle pour la préservation des animaux, à présent ? Il portait trop de cuir et mangeait trop de viande pour se sentir touché par cette cause. Quelque végétarien avait bien tenté de le sensibiliser ou de lui faire entendre raison ; en vain. Marion se bornait à croire que l’homme se portait mieux un veau mort sur le dos et dans l’assiette.

« Tiens… C’est pas grand chose mais c’est l’intention qui compte. »

Il récupéra doucement une boule à neige qu’il s’étonna de voir encore en un seul morceau vu la manière dont la Puce l’avait trimballée, d’un bout du monde à l’autre. Marion secoua la petite sphère, faisant s'envoler les paillettes blanches qui retombèrent lentement comme de la neige sur la Place rouge. Il approcha le souvenir de son nez pour mieux observer les détails de cette vie immobile. Depuis quand n’avait-il pas vu l’une de ces babioles ? Il les pensait cartonnées aux années deux-mille, voire quatre-vingt-dix. Van en avait longtemps eu une dans son bureau. Une pin-up en maillot de bain qui se dorait la pilule sur une plage de sable blanc dont les grains s'envolaient lorsqu'on la retournait. Les yeux rivés sur le paysage moscovite, les sourcils froncés, il tenta de se souvenir l'endroit où il l'avait rangée quand il avait hérité ce qui deviendrait le Naughty H.

Le squelette ne sortit de sa contemplation qu'en sentant le matelas s'enfoncer comme sa sœur s'allongeait. Il écarquilla de grands yeux étonnés quand elle lui asséna une question qu'on ne lui avait jamais posée :

« Marion… Comment ça se fait que t’as jamais pensé à fonder une famille ? ‘Fin je veux dire, comment ça se fait qu’à 37 ans t’aies pas encore d’enfants ou une femme et tout ? Je sais qu’aujourd’hui la vie idéale se résume pas à ça mais des fois je me dis que ça serait super bien pour nous; pas toi ? »

Il sentit un gouffre s'ouvrir sous ses pieds pour l'avaler tout entier. Une déferlante de confusion s'abattit dans son esprit, une chape de plomb lui lesta l'estomac. Sa gorge se noua un instant, empêchant son palpitant de lui remonter l'œsophage pour aller se pendre au bord de ses lèvres recouvertes d'encre. Condamné à rester à sa place dans sa cage d'os, son cœur cessa de battre. S'il ne pouvait pas prendre la fuite, il pouvait s'arrêter. Creuser douloureusement sa poitrine. Repartir violemment en lui donnant la nausée. Marion planta un regard voilé d'incompréhension sur le visage de la Puce.
Il n'avait ni le physique, ni le caractère de l'homme qui aspirait à une vie tranquille et rangée. Personne ne s'était jamais embarrassé à lui demander ce qu'il attendait pour fonder une famille. Personne n'avait jamais été assez con pour croire qu'il ferait un bon mari, pire encore, un bon père. Dieu savait pourtant qu'il songeait encore à ce que sa vie ressemblerait s'il s'encombrait d'une femme et de marmots. Il pensait parfois à la blonde qu'il aurait voulu épouser, à la fille qu'il n'aurait jamais, au gamin qui n'existerait pas. Il voyait avec une clarté déconcertante la maison de banlieue, le gazon parfaitement entretenu, le chien au pelage doré, la voiture familiale toujours impeccable.

Marion ravala comme il le put le nœud qui coinçait sa gorge et se recomposa un masque de sarcasme.

« Eh, quoi ? C’est un standard ? Un homme doit obligatoirement être père de famille à mon âge ? J’ai déjà tout ce qu’il faut, regarde : un mari infidèle, un chien qui ne ressemble à rien, une sœur en pleine crise d’adolescence. On pourrait lancer une sitcom avec tout ça. Keeping up with the Marshalls, qu’on l’appellerait, lança-t-il en référence à l’incroyablement dramatique famille Kardashian. »

Il s'allongea à son tour, posant la boule à neige sur son plexus, fixant le globe et les paillettes qui s'obstinaient à résister à la gravité. Quel intérêt aurait-il eu à se marier ? Sa femme aurait abandonné le navire au premier coup dur. Au premier coup qu'il aurait porté. Ils ne seraient devenus qu'une statistique de plus. Au mieux un chiffre à ajouter au nombre de divorces, au pire à celui des homicides conjugaux. Que serait-il advenu de ses enfants, alors ? Comment grandissait-on quand notre père avait tué notre mère ? Par jalousie. Par connerie. Par besoin de posséder l'autre.
La Place rouge se trouva tête en bas une seconde pour redonner un peu de souffle à la tempête de neige qui y faisait rage. Marion subissait la même, derrière son front plissé de concentration comme dans son cœur. Il ne voulait pas transmettre son nom à qui que ce soit, moins encore les problèmes qui allaient avec. Holly leur avait légué ce qui l'avait si longtemps rongée - et c'était bien le seul don qu'elle leur ait jamais fait. Cette chose crasse et destructrice, qui n'avait ni nom, ni forme, ni corps, mais ravageait tout sur son passage. Elle s’était glissée dans leur vie, leur sang, leurs gênes, comme une dégénérescence atavique.

Quelque chose n'allait pas chez eux. Mais la gamine n'avait pas besoin de le savoir. Elle avait le droit de croire le contraire et d'aspirer à une vie normale. Marion, lui, avait abandonné. Puisqu'on ne luttait pas contre une tare héréditaire, le tatoué préférait emporter celle qui crevait ses veines dans la tombe. Et si son nom pouvait mourir avec lui, il aurait réussi sa vie.

« J'y ai pensé, un temps ... Puis le caprice m'est passé. Je suis pas assez agréable à vivre pour qu'on ait le courage de me supporter plus d'un an, de toute manière. Il passa un bras sous son crâne et poursuivit : mais tu peux t'y coller, toi, si l'idée te plaît tant. Trouve-toi quelqu'un de bien et fais-moi un neveu ou une nièce.
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Lun 1 Mar - 10:23

Il lui suffit d’une seule seconde, à la gosse, pour se remémorer de toutes ces fois où l’hésitation lui avait fait perdre le contrôle, juste au moment où elle devait glisser ses enveloppes roses dans la fentes d’une boîtes aux lettres, qui lui avait valu des dizaines de crises de panique. Envoyer ces lettres était une manière de se raccrocher à ce qu’elle ne voyait plus, à ce qu’elle espérait tant sans jamais ne rien voir en retour. C’était foutrement stressant, anxiogène à tel point qu’encore, la petite éprouvait du stress dès lors qu’elle tenait un stylo entre ses doigts.

« Bah… Tu te serais plus inquiété qu’autre chose. » Répondit la brune qui soupira d’une manière imperceptible.

Et puis, de toute façon, elle n’était pas sûre de vouloir démontrer à son frère que son orthographe n’avait pas vraiment évolué depuis toutes ces années, qu’elle faisait encore les mêmes fautes et qu’elle confondait toujours autant certaines voyelles.

Marion ne le savait pas et la Puce se le cachait mais il était bel et bien responsable de nombreuses de ses névroses. La peur de l’abandon, le manque de confiance en elle et tout ce qui résultait de ses nombreux départs qui lui avait fait se sentir comme morte intérieurement.


La boule à neige accéda à son destinataire et Charlie se fit un plaisir à observer Marion, intrigué par le paysage russe. « En vrai c’est hyper beau et deux rues derrière, y’a un bar à vodka excellent… J’ai même bu de la vodka avec des paillettes d’or dedans. » Les tenanciers étaient deux jeunes qui savaient comment attirer la foule et ce soir-là, ils avaient offert aux deux jeunes femmes deux-trois shots de quelques vodka insolites. Elles étaient rentrées complètement éméchées, l’une soutenant l’autre tandis que le sol se dérobait sous leurs pieds.


Et la question qui tuait tomba, parce que Charlie était assez bête pour croire qu’ils avaient tout de la famille américaine normale alors qu’il n’en était rien et qu’ils étaient juste deux cons à essayer de garder la tête hors de l’eau depuis leur naissance. C’était dur d’être un Marshall, encore plus quand on n’était pas voulu et la Puce n’en savait rien mais de ce qu’elle avait constaté durant des années, ça devait bien être le cas pour eux deux. Un rire s’échappa des lèvres fines et rosées de la gosse, parce qu’elle trouvait ces émissions de télé réalité absurde mais elle s’obstinait quand même à les regarder pour le côté dramatiquement drôle. « De un, je suis pas en pleine crise d’ado et de deux, t’as raison, aucune femme n’est assez folle pour s’encombrer d’un boulet comme toi ! » Elle sourit, tira la langue et pivota légèrement sur le côté pour observer son frère et sa boule à neige qu’il semblait adorer. Ou en tout cas, la manière dont il avait de la retourner puis de l’observer faisait penser ça. « Oui, moi c’est sûr que j’aurais des enfants. Peut-être un ou deux, ça serait bien. Une fille et un garçon, comme ça, si je fais de la merde, ils pourront se soutenir comme nous. Enfin, l’idéal ça serait que je fasse pas de la merde… Dans un premier temps faudrait trouver quelqu’un déjà et ça c’est une autre paire de manches. Les mecs sont tous cons, je te jure Marion. Toutes les personnes que je connais et qui sont dotées du chromosome Y sont soit des connards, soit des types à qui je donnerais jamais ma confiance… -Elle soupira- C’est super compliqué de trouver quelqu’un de bien de nos jours. » Il suffisait de voir sur qui Charlie tombait à chaque fois. Jayden l’avait trompée, Shawn l’avait trompée et tous ceux avant n’avaient rien de bien plus honorable à offrir. Ils tournaient le dos dès la première difficulté, dès que Charlie exprimait ses peurs ou ses envies. « Et puis en plus je pars avec un handicap parce qu’avec ma tronche, faut aimer les filles qui ressemblent à Mia Wallace quoi. » Un grand sourire se dessina sur sa bouche et créa sur son visage un petit quelque chose d’espiègle qui la rendait à la fois mignonne et flippante.



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